Path: ...!weretis.net!feeder8.news.weretis.net!pasdenom.info!.POSTED.49.228.43.194!not-for-mail From: Paul & Mick Victor Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique Subject: =?ISO-8859-15?Q?Des_mots,_des_notes._F._comme_Fl=FBte?= Date: Thu, 28 Sep 2023 17:46:06 +0700 Organization: Message-ID: Mime-Version: 1.0 Content-Type: text/plain; charset="utf-8"; format=flowed Content-Transfer-Encoding: 8bit Injection-Date: Thu, 28 Sep 2023 10:46:12 -0000 (UTC) Injection-Info: rasp.pasdenom.info; posting-account="b.suisse@usenet"; posting-host="49.228.43.194"; logging-data="10356"; mail-complaints-to="abuse@pasdenom.info" Cancel-Lock: sha256:M8CDRKva35Qo1p1rSZyy83W91TTsS0IMTLoRLjf+/X8= X-Newsreader: MesNews/1.08.06.00 Bytes: 15564 Lines: 221 [F. comme Flûte] : Du piano, n’attendez aucune amitié. C’est une auge où chacun peut trouver à manger, un puits commun. Je m’en aperçus au collège des Jésuites où mes parents m’avaient mis en pension, un jour qu’il me fallut jouer un quatre-mains en public avec mon frère ; nos mains se heurtèrent si brutalement sur le clavier, que j’eus le sentiment d’une bataille. Le morceau fini, je me levai rempli de haine. Cet instrument où l’on pouvait se mettre à deux me parut vil. Je ne me lassais pas de songer au violon que mon père m’avait refusé, il y avait si longtemps déjà. — Le violon, on ne sait pas où ça mène ! Comme mon père disait vrai ! Le violon est vivant, il possède un visage, on peut le porter et l’élever dans ses mains. Je peux l’enfermer dans une boîte, le cacher où je veux, lui faire dire ce que je veux avec mon cœur qui ne saurait autrement s’exprimer. Et s’il m’entraîne à son tour, je le suis les yeux fermés jusqu’à ce qu’il m’ordonne de m’arrêter. Pour la deuxième fois, je suppliai mon père de me laisser apprendre le violon. La réponse fut longue à venir, mais la déception qu’elle me causa tranchante et décisive. Mon père me priait de ne plus penser au violon. — Le violon, ça ne mène à rien ! Je compris avec douleur que le violon m’échapperait toujours. Mon père me permettait d’apprendre un autre instrument, pourvu qu’il fût choisi parmi ceux de la fanfare. Jusqu’ici je n’avais jamais songé à demander mon admission dans cette musique qui rendait la discipline du collège plus militaire, et où mon frère aîné tenait une forte partie, celle du cornet à pistons auquel étaient dévolus les rôles les plus impressionnants. Les cuivres m’effrayaient plutôt, le tambour et la grosse caisse m’étaient odieux. Après réflexion, je demandais à prendre place à côté de mon frère, parmi les cuivres ; c’étaient encore ceux-ci qui chantaient le mieux. Mais tous les postes étaient occupés, depuis le piston léger jusqu’à l’encombrant bombardon. Comme je me montrais blessé dans l’amour-propre, qui était ici l’amour de la musique même, le directeur me dit qu’il était possible d’ajouter à la fanfare un nouvel instrument : une petite flûte. Aussitôt je songeai à ces flûtes en fer blanc, si fausses, et qui semblent toujours enrhumées. Si c’était cela, j’aimais mieux renoncer tout de suite. Mais lorsque le chef de musique, qui exerçait aussi l’emploi de professeur, m’eut fait une description élogieuse de la petite flûte, insistant sur ce point qu’elle était en bois, et d’un bois spécial, du reste fort cher, avec une clé de métal pour chaque trou, je finis par accepter. Mais comme je le priais de me laisser choisir, de préférence, la grande flûte, à laquelle il avait eu la maladresse de faire allusion, je trouvai ici le même refus que celui de mon père devant le violon : — La petite flûte ou rien ! Lorsqu’on m’apporta la flûte, je fus péniblement surpris de la voir si petite. On m’avait trompé. Quelle figure allais-je faire parmi les musiciens chargés d’instruments éclatants et lourds, avec cette petite flûte humiliante, taillée pour un enfant ? Je songeai pourtant que je serais seul à en jouer ; cela donnait à mon rôle un certain prestige. Du reste, le directeur me fit remarquer combien ce rôle était enviable, puisqu’il consistait à fleurir la fanfare d’une partie composée exclusivement de chant. Rare privilège que de chanter toujours quand les autres fatiguent leurs poumons aux fonctions modestes de l’accompagnement. Ceci me rendit la joie et quelque fierté déjà. La peine vint ensuite, car lorsque je soufflai pour la première fois dans l’embouchure aucun son ne sortit. Le professeur porta la flûte à ses lèvres et en tira plusieurs notes dont les sons m’enchantèrent. Je lui arrachai l’instrument et soufflai à mon tour ; rien ne jaillit du bois creux, bien que j’y eusse mis tout mon souffle désespéré. Je soufflais beaucoup trop fort. On ne souffle pas dans une petite flûte très chère comme dans un instrument d’un sou ; il faut y aller décidément, mais avec art, souffler, le bout de la langue entre les dents. — Comme si vous crachiez une brindille de paille. Le professeur cracha, et je remarquai ses grosses lèvres répugnantes. Il s’appelait Moulart, un nom qui coupait l’appétit. Lorsqu’il me rendit la flûte, celle-ci était tout humide. Moulart transpirait ; on voyait la sueur sur son crâne à demi chauve et derrière ses moustaches transparentes. Je ne pus m’empêcher de penser à l’archet si propre du violon. Avec quel dégoût je remis les lèvres sur l’embouchure ! Après une demi-heure d’efforts, j’arrivai pourtant à tirer quelques sons très imparfaits de l’instrument, et cette première victoire me fit oublier l’horreur d’une salive étrangère. D’ailleurs, Moulart était très bon. Il souriait toujours, même lorsque je lui donnais le plus de mal ; il ne souriait pas pour se moquer, mais parce que son visage blanc et tiré avait besoin de sourire. Le sourire lui tenait lieu de sang. Après la deuxième leçon, plus fructueuse que la précédente, je commençai même à l’aimer. Le professeur Moulart n’avait-il pas soufflé toute sa santé dans la fanfare, dans tous les instruments, les grands et les petits, qui lui suçaient chaque jour un peu de vie ? Il soufflait dix leçons chaque matin, et les jours de sortie, lorsque la musique traversait la ville en chantant, le directeur ne se contentait pas de battre la mesure ; il portait toujours un bugle ou quelque autre instrument avec lui, afin de renforcer une partie dont il n’était pas sûr. J’entendis un jour le préfet qui disait : — Moulart se tue à la besogne ! Dès lors je le considérai comme un mourant ; le souffle qu’il me donnait me parut précieux. Pourtant, après chaque leçon, je séchais l’embouchure de ma petite flûte avec le coin de mon mouchoir. Je fis quelques progrès et me mis à chérir ma petite flûte. Elle était bien à moi, je pouvais la serrer dans mon pupitre avec mes cahiers et mes livres. Elle commençait à m’aimer aussi, puisqu’elle répondait à mon souffle. Il m’arriva plus d’une fois de négliger mon travail en étude pour la contempler ; soutenant du front le couvercle de mon pupitre, je la tirais de son étui. Était-elle grande ou petite ? Comme mon désir, elle n’avait pas de dimensions. Je caressais avec la peau de chamois les clés de nickel qui brillaient sur leurs charnières. Et le bois noir brillait aussi franchement que les clés. L’importance de ma petite flûte grandit à mesure que nous approchions de la première répétition en commun. L’un des morceaux que la fanfare devait exécuter à la prochaine sortie en ville était un pas redoublé spécialement composé pour moi par Moulart et orné d’un solo de petite flûte d’une merveilleuse légèreté, mais d’autant plus difficile qu’il se faufilait à contretemps dans une partie de piston très compliquée. La difficulté me donna des forces, dans les doigts plus que dans le souffle ; les doigts eussent fait des prodiges si le coup de langue s’était montré à la hauteur. Je ne savais pas cracher le souffle comme il convenait : l’expulser d’un petit choc vigoureux de la langue par l’ouverture des lèvres et le pousser comme une balle minuscule dans le tuyau. Mon souffle était trop mouillé, le son partait mal, ratait parfois comme un coup de pistolet. — Trop de vent ! Trop de vent ! » répétait Moulart en voyant mes efforts. Cependant les doigts avançaient, ouvriers plus dociles, oubliant parfois tellement le souffle qu’ils étaient chargés de conduire, que leur course sautillait sur une musique dont les sons éclataient dans ma tête bien mieux que dans l’instrument. Tour à tour ou ensemble, le merle, la fauvette, le rossignol ou le loriot passaient dans le ciel bleu de ma mémoire. Lorsque le jour de la répétition générale arriva, j’avais si bien travaillé, que le coup de langue avait fini par donner. Mais l’émotion, Moulart, pouviez-vous la prévoir ? Éloquent professeur de coup de langue, vous ne saviez pas quel coup le cœur peut porter à la musique, jusqu’à la tuer sur les lèvres, alors qu’elle gronde à l’intérieur. Pourtant, cette répétition n’annonça rien que de réconfortant. Ma langue fourcha plusieurs fois ; Moulart patienta, puis se fâcha. Son affreux mouchoir rouge fit reluire son crâne blanc. Mais à la fin, dans le tonnerre des cuivres qui faisait trembler les vitres, ma petite flûte poussa son sifflement aérien. Moulart se montra enchanté ; mon frère, à qui était dévolu le solo de piston autour duquel le mien s’enroulait comme un dessin autour d’une lettrine, m’accorda sa confiance, et toute ma fierté passa dans le tuyau étroit de ma petite flûte. Le lendemain, jour de fête, la fanfare se balança dans la ville aux applaudissements des drapeaux. Comme mon solo ne se présentait qu’à la fin du programme, je pus jouir des fenêtres ouvertes, des visages extasiés, des promeneurs qui faisaient la haie et de la troupe de gamins cabriolant devant la grosse caisse et les tambours. Je portais gravement ma petite flûte comme Moulart son bâton. Lorsque les coups de cymbales annoncèrent le dernier morceau, mon cœur soudain bondit et la flûte sauta à mes lèvres. Je regardai Moulart qui agitait son bâton en mesure. Moulart me regardait aussi. Je perdis confiance sous ce regard qui ne m’en accordait pas assez, ma flûte trembla et mon souffle s’effraya. Le coup de langue manqua son but. — Plus fort ! hurlait Moulart. Ses yeux sortant de l’orbite me frappèrent comme deux billes. À cet ordre, mes doigts perdirent à leur tour contenance. Ils battaient à se rompre la défaite de mon cœur. Je fermai les yeux et me sentis perdu, tellement qu’à la place du solo je ne vis plus qu’un gouffre où je coulais vertigineusement. Ma petite flûte elle-même m’échappa tout à coup. C’était Moulart qui venait de m’arracher l’instrument ; il m’avait glissé son bâton dans la main, et de ses grosses lèvres se déroulait maintenant mon solo, dont chaque note me couvrait de ridicule. Ma rentrée au collège fut d’un noyé. Moulart se contenta de plaisanter. Trop humilié pour apprécier cette bienveillance héroïque, je préférai les remontrances de mon frère ; ma maladresse avait failli compromettre son succès. Je ne pus m’empêcher de plaindre ma petite flûte : la salive victorieuse de Moulart ne l’avait-elle pas, cette fois, déshonorée ? Je fus longtemps à la laver de cet affront. Heureusement, les vacances de juillet étaient proches. J’oubliai vite l’accident de la fanfare pour me jeter dans ce bonheur de liberté qui souriait avec les paysages mouvants que le train nous offrait chaque trimestre. J’oubliai même ma petite flûte, ou plutôt je la gardai religieusement dans son étui, sentant bien de quelle ivresse elle me remplirait bientôt dans l’air plus respirable de la maison. En me dirigeant vers la gare, je portais d’une main ma valise, de l’autre ma petite flûte. Je jetai ma valise dans le filet et plaçai ma flûte à côté de moi sur la banquette. Le long voyage tourmenta mon impatience. Les tableaux de la fenêtre défilaient comme une suite de visages de plus en plus connus et qui me reconnaissaient ; jusqu’à ce que j’en visse un qui m’était familier. Il précédait le faubourg. Celui-ci se montra à son tour comme un vieux domestique qui annonce son maître. Je baissai la vitre de la portière et me penchai. Lorsque le train ralentit en sifflant, mes regards s’élancèrent sur le quai. Mon ========== REMAINDER OF ARTICLE TRUNCATED ==========