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From: Paul & Mick Victor <b.suisseVotreculotte@gmail.com>
Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique
Subject: Re: ENFIN !...
Date: Sun, 03 Sep 2023 11:17:28 +0700
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Message-ID: <ud11cq$c8u$1@rasp.pasdenom.info>
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Lines: 248

MELMOTH a affrimé, le 02/09/2023, avec une autorité et une confiance en 
soi qui n'étonnera personne :

> J'estime que la Musique est _AVANT TOUT_ du *SON*...

Formellement, tu as raison. Aucun doute là-dessus. De même, la Tour 
Eiffel, c'est _avant tout_ du fer. Une île flottante, c'est _avant 
tout_ des œufs. Une collection de timbres, c'est _avant tout_ du 
papier. Et Melmoth, P&MV et tous les autres, c'est _avant tout_ de 
l'eau (65% du corps, c'est-à-dire environ 45 litres pour une personne 
de 70 kilos).

Réfléchissons : qu'est-ce qui est aussi, _avant tout_, du son ? La 
parole, bien sûr. Quelqu'un qui parle produit avant tout du son (je ne 
fais pas de distinction entre "bruit" et "son", j'appelle ici "son" 
toute vibration, qu'elle soit périodique ou non,  perceptible par une 
oreille). C'est grâce à ce son, émis par un larynx, véhiculé par un 
milieu ambiant et perçu par les oreilles, que nous pouvons entendre 
notre chère et tendre épouse nous dire : "T'es qu'un minable ! J'aurais 
bien dû écouter ma mère !" Et c'est encore grâce au son que nous 
pouvons répondre - mezzo voce : "Retourne-z-y donc, chez ta mère, hé, 
morue !" La parole est du son, c'est incontestable, pourtant personne 
ne jugerait indispensable d'avoir des enceintes à 250.000 euros pour 
écouter un podcast d'Europe 1. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas la 
qualité du son qui importe d'abord ici, c'est le message. Les ondes 
sonores qui font vibrer nos tympans sont décodées par notre cerveau et 
transformées, traduites en signification. De la même façon que la pipe 
de Magritte n'est pas une pipe, mais la représentation visuelle d'une 
pipe, la sonorité du mot cigare n'est pas un cigare, mais une 
représentation sonore d'un cigare. C'est enfoncer une porte ouverte que 
de dire que si l'on entend avec ses oreilles, on écoute avec son 
cerveau.

Pourquoi nous contentons-nous d'une boîte de conserve à 3 balles pour 
écouter les infos ou la météo ? Parce que notre cerveau est, depuis ses 
premières minutes, entraîné à décoder la parole, et que nous savons 
bien que le plus important n'est pas l'accent de l'orateur, ses 
intonations, sa hauteur de voix, mais le message qu'il transmet. Et ce 
message nous est immédiatement compréhensible, parce que, depuis nos 
premières minutes d'existence, nous avons appris à reconnaître des 
sonorités, à les associer à des mots, de plus en plus nombreux tout au 
long de notre vie, nous avons, même inconsciemment, assimilé des règles 
élémentaires, nous baignons dans le langage depuis notre naissance, 
nous sommes nous-mêmes langage.

Avec le solide bon sens qui le caractérise, Melmoth me répondra que 
_oui_, j'enfonce des portes ouvertes, et que, _non_, la musique n'est 
pas la parole.

Réfléchissons encore : Il y a des circonstances où mon cerveau est 
dérouté, désemparé, incapable de décoder le message, c'est lorsque 
j'écoute un discours dans une langue étrangère que j'ignore totalement. 
Là, impossible de décoder, je n'ai pas le logiciel, les sons ne se 
transforment pas en mots, et les mots en images, en signification. 
J'écoute seulement les intonations, les sonorités. D'une façon 
générale, je décroche vite, parce que personne ne trouvera grand 
intérêt à écouter pendant une heure un exposé sur la condition de la 
femme en Afghanistan en moldo-samovar ou en mandarin (à moins, 
évidemment, de parler le moldo-samo var ou le mandarin - et bien sûr, 
de s'intéresser à la condition de la femme en Afghanistan). Ici, le 
discours n'est pas un langage, c'est une succession de sons dépourvus 
de sens. Des esprits primaires diront : dans ce cas, on écoute le 
langage comme une musique, on s'attache seulement à la "musique des 
mots". C'est une mauvaise image, car la musique n'est pas une 
succession de sons sans signification. La musique a une logique, un 
vocabulaire, une grammaire, toute musique est aussi un langage. Les 
mots chinois que je ne comprends pas ne forment pas une musique. Tout 
juste, pour mon cerveau qui ignore le mandarin, une succession de sons, 
sans logique et sans grammaire. Donc, très vite, sans intérêt.

Si je bâille en écoutant le discours en mandarin évoqué plus haut, le 
Chinois, à côté de moi, l'écoutera peut-être avec une grande attention 
(supposant qu'il s'intéresse à la condition de la femme en 
Afghanistan), et manifestera son approbation ou son agacement. Mais que 
se passera-t-il, si je fais écouter une fugue de Bach à ce même Chinois 
qui n'a jamais quitté la Chine et n'a jamais entendu de musique 
occidentale ? Il est probable qu'il bâillera. Je ne sais plus dans quel 
film des Branquignols il y avait ce gag : une délégation de Chinois 
assistent à un concert de musique classique. Avant le concert, 
l'orchestre s'accorde, avec la purée sonore habituelle. Et les Chinois 
applaudissent frénétiquement.

La musique est un langage, disais-je. Mais contrairement à la parole, 
ce n'est pas un langage dans lequel nous baignons depuis notre 
naissance, un langage vital qu'il est impératif de maîtriser pour 
s'intégrer à la communauté humaine. J'ai eu la chance d'avoir une mère 
qui me chantait des chansons (pas toujours très juste, mais elle 
faisait ce qu'elle pouvait), et qui avait l'excellente idée de me 
pourvoir abondamment de disques de chansons enfantines. Plus que des 
disques de divertissement, ce sont là de véritables manuels de 
vocabulaire et de grammaire musicale, par lequel l'enfant assimile, 
inconsciemment, les règles de la "musique occidentale", la tonalité, 
les intervalles, les rythmes, l'harmonie. Je dois énormément aux 
"Rondes et chansons de France", et autres collections du même tonneau. 
Et si je suis à même d'apprécier pleinement une suite de Bach ou un 
concerto de Mozart, c'est sans doute, à l'origine, parce que j'ai été 
initié, "formaté", dès l'enfance, à Malbrough, au Petit navire ou au 
Pont du nord. Zoltán Kodály, qui avait bien compris cela, a créé en 
Hongrie une méthode d'enseignement musical basé sur les chansons 
folkloriques populaires locales. Nous n'avons pas d'équivalent en 
France (la méthode Kodály a certes été traduite et adaptée en français, 
mais assez maladroitement). Je suppose que si un jeune d'aujourd'hui 
est à même d'apprécier un morceau de techno, de métal-fusion ou de 
Biggie Pokoe (si, si ! ça existe !), c'est parce qu'il baigne, depuis 
l'enfance, dans ce genre musical. L'exemple le plus significatif me 
paraît encore être le jazz, et particulièrement le bop, que j'écoute 
avec ravissement depuis mon adolescence. Je ressens souvent une intense 
jouissance intellectuelle lorsque j'entends un solo de Charlie Parker 
ou de Dizzy Gillespie. Le son n'est pas toujours bon, et parfois même 
très médiocre, même remastérisé, ce n'est pas le plus important. Je ne 
cherche pas la qualité du son, mais la qualité du discours. Y a-t-il 
des musiques intelligentes ? Bernard Pivot disait que s'il avait choisi 
le 1er concerto de Rachamaninov pour générique de son émission 
Apostrophes, c'est parce qu'il trouvait cette musique "intelligente". 
Je considère, pour ma part, que Charlie Parker représente un sommet de 
l'intelligence musicale, disons plutôt du "discours" musical. Plus que 
mes oreilles, Parker stimule mes neurones. Et Dieu sait s'ils en ont 
besoin, les pauvres !

Donc, la musique est un langage, qui a des règles, et qui s'apprend, et 
celui qui l'ignore se trouve aussi dépourvu devant une œuvre musicale 
qu'un auditeur devant un discours en langue étrangère. Ce langage, on 
l'apprend par l'écoute, c'est évident, plus on écoute, plus on apprend, 
plus on comprend, on l'apprend aussi, plus scolairement, par la 
théorie, le solfège, l'analyse, le contrepoint, la fugue, l'harmonie, 
l'écriture, l'esthétique, la composition, la pratique instrumentale. 
Celui qui atteint le sommet de la science musicale (scolairement ou 
empiriquement) n'a même plus besoin de son. La musique s'est faite idée 
pure. Beethoven, sourd comme un pot, n'a pas entendu trois notes de sa 
Neuvième, et Fauré ne pouvait plus écouter de musique à la fin de sa 
vie, souffrant d'une curieuse pathologie qui déformait les sons qu'il 
entendait. Cela ne les empêchait pas de composer. Ce n'est pas là un 
exploit extraordinaire : tous les étudiants en harmonie pratiquent 
l'exercice d'harmonisation à quatre voix de chant ou de basse donnés 
(en quatre clés), et sans l'aide d'aucun instrument. Et celui qui 
maîtrise parfaitement ce langage se trouve à son tour complètement 
dépourvu lorsqu'il entend une musique qu'il ne comprend pas, qu'il ne 
peut conceptualiser. Ainsi, lorsqu'on se trouve devant une œuvre 
électro-acoustique, ou d'un raga indou. Ce sont d'autres langages, 
d'autres règles, d'autres grammaires, qu'il faut apprivoiser, 
apprendre, comme on apprend des langues étrangères.

C'est très réducteur de dire que la musique est _avant tout_ du son. Je 
dirais, pour ma part, que la musique est _avant tout_ de "l'idée", du 
"discours". On se souvient de M. B., le joueur d'échecs de Stefan 
Sweig, qui, pour meubler les interminables heures passées en prison, 
avait appris seul les échecs avec tant d'opiniâtreté qu'il était 
parvenu à jouer des parties entières sans le secours d'aucun support 
matériel, simplement en se représentant mentalement l'échiquier et les 
mouvements des pièces. On appelle cela jouer "à l'aveugle", quelques 
grands maîtres ont poussé cet exercice à ses extrêmes limites : on dit 
que Harry Pillsbury pouvait, les yeux bandés, jouer simultanément 
contre douze adversaires. Je suis très loin d'être un grand maître, 
j'ai toujours besoin d'un échiquier pour perdre mes parties (il me 
semble d'ailleurs que j'en perds de plus en plus souvent et que je 
régresse au fil des ans), mais je suis encore capable d'extraire la 
musique, "l'idée", du son, parce que c'est un langage que je pratique 
depuis l'enfance, que je comprends aussi bien que le langage parlé (du 
moins la musique classique occidentale), je n'ai pas besoin d'une 
reproduction sonore impeccable pour l'apprécier pleinement. Ma chaîne à 
300 euros TTC me convient parfaitement. Curieusement, peut-être (et 
peut-être, je ne le nie pas, est-ce une tragique infirmité), je ne 
ressens quasiment jamais de sensations physiques à écouter de la 
musique. C'est pour moi une activité essentiellement cérébrale. À la 
limite, en poussant vers l'extrême, la partition me suffirait. 
Infirmité, disais-je, parce que, incontestablement, l'audition d'un son 
peut entraîner de fortes réactions physiques, agréables ou 
désagréables. Ainsi, la craie crissant sur le tableau noir. Une de mes 
élèves m'expliquait qu'elle ne pouvait entendre le son d'un orgue de 
barbarie sans fondre en larmes. Pour ma part, le son du clavecin m'a 
très longtemps horripilé. Aujourd'hui, ça va mieux. Mais je me soigne.

On voudra bien excuser le caractère un peu bordélique de cette 
contribution, c'est un premier jet, qui demanderait à être organisé, 
discipliné, mis en forme, approfondi. On reconnaîtra, en revanche, 
qu'elle essaie d'apporter des idées et des arguments, et qu'elle ne se 
contente pas d'énoncer une formule en deux lignes à l'emporte-pièce. 
Pour la résumer, je dirais qu'il y a mille manières d'écouter et 
d'apprécier la musique, et que toutes sont, après tout, légitimes et 
respectables. Certains, qui pensent que la musique est _avant tout_ du 
son, chercheront la beauté des sonorités, s'extasieront devant le 
========== REMAINDER OF ARTICLE TRUNCATED ==========