Deutsch   English   Français   Italiano  
<uefppv$7hg$1@rasp.pasdenom.info>

View for Bookmarking (what is this?)
Look up another Usenet article

Path: ...!weretis.net!feeder8.news.weretis.net!pasdenom.info!.POSTED.49.228.41.224!not-for-mail
From: Paul & Mick Victor <b.suisseVotreculotte@gmail.com>
Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique
Subject: Musique, maestro !
Date: Thu, 21 Sep 2023 04:56:14 +0700
Organization: <https://pasdenom.info/news.html>
Message-ID: <uefppv$7hg$1@rasp.pasdenom.info>
Mime-Version: 1.0
Content-Type: text/plain; charset="utf-8"; format=flowed
Content-Transfer-Encoding: 8bit
Injection-Date: Wed, 20 Sep 2023 21:56:15 -0000 (UTC)
Injection-Info: rasp.pasdenom.info; posting-account="b.suisse@usenet"; posting-host="49.228.41.224";
	logging-data="7728"; mail-complaints-to="abuse@pasdenom.info"
Cancel-Lock: sha256:PVdwPfldGnb+1ilWAWEWCj9DdT2iZL/OJSsoAZ9MB98=
X-Newsreader: MesNews/1.08.06.00
Bytes: 26222
Lines: 388

Louis-Antoine Jullien (1812-1860), auteur de très nombreuses pièces 
légères, danses, galops, quadrilles, polkas, valses, etc. accumula une 
fortune considérable qui lui permit d'acheter la célèbre salle de Drury 
Lane à Londres (où il invita Berlioz à diriger Lucia di Lammermoor). La 
vie de cet olibrius est tout à fait divertissante, je vous la 
raconterai un jour si vous êtes sages. Rien que son prénom devrait déjà 
vous mettre l'eau à la bouche : outre Louis-Antoine, le bonhomme avait 
été prénommé par son père, ouvrez les guillemets : "George Maurice 
Adolphe Roch Albert Abel Antonio Alexandre Noé Jean Lucien Daniel 
Eugène Joseph-le-Brun Joseph-Barême Thomas Thomas Thomas-Thomas Pierre 
Arbon Pierre-Maurel Barthélémi Artus Alphonse Bertrand Dieudonné 
Emanuel Josué Vincent Luc Michel Jules-de-la-plane Jules-Bazin Julio 
César". T'imagines l'angoisse du gars quand il devait remplir un 
formulaire de la Sécu ? Évidemment, comme disait Zézette, ça ne rentre 
pas dans les cases, ça dépasse. L'anecdote dit que Louis-Antoine George 
Maurice etc., "en sa qualité incontestable et incontestée de fou" – le 
mot est de Berlioz – dirigeait Beethoven à l'aide d'une baguette sertie 
de pierres précieuses, qu'on lui apportait sur un plateau d'argent.

Ce petit préambule pour introduire le sujet du jour. Loin des vaines et 
stériles querelles, des interminables discussions pour savoir qui est 
"le meilleur", j'ai trouvé plus intéressant de chercher l'origine de 
cet accessoire qui, avec le nœud papillon et l'habit à queue-de-pie, 
constitue l'un des emblèmes du chef d'orchestre, j'ai nommé : la 
baguette. De la même façon qu'on n'imagine pas une fée sans baguette 
magique, un Français sans béret, moustache et baguette de pain sous le 
bras, on n'imagine pas un chef d'orchestre sans baguette. Après 
quelques recherches sur Internet, je suis déjà en mesure d'estimer 
qu'une panoplie complète de chef d'orchestre vous coûtera environ un 
millier d'euros : 940 € pour l'habit queue-de-pie, veste, gilet blanc 
en piqué, et pantalon (chez Jean-Jacques Cérémonie) ; 20,95 € pour le 
nœud papillon en soie (chez Nœudspapillon-Shop) et entre 8 et 50 € pour 
la baguette (à la Flûte de Pan), selon sa taille (entre 32 et 46 cm) et 
sa matière (bois, acier, fibre de verre, carbone). Notez que vous 
pouvez faire de substantielles économies en achetant en gros. Aindi, 
CDiscount propose un lot de 60 baguettes fibre de verre et poignées ABS 
pour seulement 63,33 €, soit à peine un peu plus d'un euro par 
baguette. Si vous en cassez beaucoup, c'est avantageux. Comptez une 
cinquantaine d'euros en plus si vous ajoutez le coffret. Il ne vous 
restera plus qu'à trouver un orchestre à diriger.

Mais ce chef d'orchestre, cette star, cette diva, ce maestro qui étale 
son sourire colgatisé sur les pages en papier glacé de Diapason, ce 
monstre sacré dominant et subjuguant ses troupes depuis la petite 
estrade où il est juché, cette gloire dont le nom s'étale parfois sur 
les affiches et les pochettes de disques en plus gros caractères que 
celui du compositeur, ce chef célébré et adulé tel que nous le 
connaissons et le fantasmons aujourd'hui, est, comme le bonheur de 
Saint-Just, une idée assez neuve en Europe.

Qu'on regarde cette gravure d'une représentation de l'Alceste de Lully 
à Versailles en 1674 :
https://tinyurl.com/3x7xjxv4

Les musiciens sont répartis dans deux enceintes placées de chaque côté 
de la scène, et si l'on zoume un peu, cela semble un joyeux bordel. On 
a plus envie de parler de troupeaux que de pupitres. Un ensemble, en 
tout cas, quasi impossible à diriger (d'autant qu'en plein air, avec 
des groupes de musiciens aussi éloignés, le chef doit prendre en compte 
la vitesse de déplacement du son, s'il ne veut pas que la dernière note 
du groupe de gauche n'arrive une ou deux secondes après celle du groupe 
de droite.)

Et pourtant, c'est ainsi que se représentaient les opéras : le chef (on 
disait alors : le maître) devait à fois diriger (ou plutôt 
"synchroniser") les chanteurs, les choristes, les figurants et les 
musiciens. Généralement, il se tenait sur un côté de la scène, tournant 
le dos à l'orchestre, et marquait la mesure avec son "bâton de 
direction", un lourd morceau de bois qu'il frappait en mesure sur le 
sol (comme ces bâtons qui servent à frapper les trois coups dans les 
théâtres et qu'on appelle des "brigadiers"). C'est ainsi que Lully 
s'est écrasé le pied et est mort de la gangrène. Cette pratique a été 
en usage pendant fort longtemps. Rousseau, dans son Dictionnaire de 
Musique (1768), dénonçait encore "le mauvais emplacement du maître, qui 
sur le devant du théâtre et tout occupé des acteurs, ne peut veiller 
suffisamment sur son orchestre, et l'a derrière lui, au lieu de l'avoir 
sous ses yeux" et "le bruit insupportable de son bâton qui couvre et 
amortit tout l'effet de la symphonie". Ajoutez à ça le suif des 
chandelles qui dégoulinait sur les musiciens, quelques spectateurs VIP 
qui avaient leur place réservée sur les côtés de la scène et ne se 
gênaient pas pour parler à voix haute, plaisanter ou s'engueuler, vous 
aurez une idée d'une représentation d'opéra sous Louis XIV.

Même si le bâton de direction a été abandonné au XIXe siècle, le chef 
d'orchestre était encore loin d'être le personnage qu'on acclame 
aujourd'hui. Tout le monde connaît, bien sûr, la célèbre toile de 
Degas, l'Orchestre de l'Opéra :
https://tinyurl.com/5e94jybz

Certes, Degas a un peu arrangé la réalité (il a intégré dans ce tableau 
quelques-uns de ses amis musiciens, dont certains mêmes n'ont jamais 
été instrumentistes), mais la disposition de l'orchestre ne devait pas 
être très différente de ce qu'on voit ici : c'est-à-dire qu'il n'y 
avait aucune disposition. La flûte côtoie le violon et le basson, le 
violoncelle est serré contre un violon, bref, cela donne l'impression 
qu'on s'installait au petit bonheur la chance, selon son ordre 
d'arrivée dans la fosse et les places disponibles. Évidemment, dans ces 
conditions, impossible de diriger les pupitres, il n'y en avait pas ; 
impossible de d'impulser le départ des violoncelles ou d'inviter les 
cuivres à plus de discrétion. Le chef se contentait de battre la 
mesure, et sa baguette, s'il en avait une, ne faisait guère plus qu'une 
tige de métronome. Spontini, l'un des premiers à utiliser une baguette 
(qu'il tenait non par une extrémité, mais par le milieu), s'en servait 
pour marquer la mesure sur les chandeliers et tous les objets à sa 
portée, sans parler de ses piétinements. La postérité n'a pas retenu 
grand-chose de Spontini, mais il eut un rôle important dans le 
développement de la direction d'orchestre, et était très admiré par 
Berlioz. Le bonhomme était un fanatique de la perfection, imposant 
d'innombrables et interminables répétitions à ses musiciens, et 
exerçant sur eux une véritable tyrannie. C'était sans doute possible 
autrefois, mais il est dangereux aujourd'hui pour un chef de se montrer 
trop irascible, méprisant, cassant pour les instrumentistes. C'est 
suite à une révolte de musiciens brimés que Celibidache fut écarté de 
la direction de l'orchestre de l'ORTF en 1975.

Pour les œuvres purement instrumentales, ou les opéras à petits 
effectifs, l'usage du bâton de direction n'était pas justifié. C'était 
généralement le claveciniste, le "maestro al cembalo" qui, souvent à 
l'aide de feuilles de papier roulées, assurait la direction de 
l'orchestre. Quelques chefs modernes utilisent encore ce procédé (mais 
sans le rouleau de papier). Ainsi, Krystian Zimerman a assuré à la fois 
la direction et la partie soliste des deux concertos pour piano de 
Chopin dans son enregistrement Deutsche Gramaphon, superbe 
interprétation par ailleurs. Melmoth ne manquera pas de vous conseiller 
une centaines de versions meilleures que celle-là, elles sont 
évidemment toutes excellentes, mais celle de Zimerman me suffit. De 
même Barre en bois, pardon, Barenboim se plaisait quelquefois dans le 
rôle de maestro al cembalo :
https://tinyurl.com/2jrta4y2

Parfois, et notamment à la fin de l'époque baroque, lorsque le continuo 
au clavecin fut en déclin, c'était au premier violon et à son archet 
qu'incombait la tâche de diriger l'ensemble. D'après 
Carl-Philipp-Emmanuel, c'était le mode de direction que préférait son 
Jean-Sébastien de père. Et c'était celui que pratiquait Haydn lorsqu'il 
dirigeait ses œuvres. Parfois encore, notamment dans les opéras, il y 
avait deux directeurs : le claveciniste qui s'occupait plus 
particulièrement des chanteurs, et le premier violon, qui dirigeait 
l'orchestre.

On voit par ces exemples que, jusqu'au début du XIXe siècle, le chef 
d'orchestre n'était encore qu'un musicien parmi d'autres, disons, un 
soldat de première classe devenu caporal à l'ancienneté, mais toujours 
un bidasse qui allait sans état d'âme boire un verre au mess avec ses 
camarades. D'ailleurs, vous ne trouverez pas un nom de chef d'orchestre 
célèbre avant les années 1850, pour la bonne raison qu'il n'y en avait 
pas. On trouve, certes, des noms de compositeurs qui ont dirigé leurs 
œuvres, bien ou mal (Beethoven, sourd comme un pot, s'acharnait à 
diriger sa 9e, on imagine le résultat), mais de chef, au sens où nous 
l'entendons aujourd'hui, c'est-à-dire de musicien spécialisé dans la 
direction d'orchestre, il n'y en avait pas. C'est seulement vers 1850 
qu'est né le maestro moderne, non plus un musicien sorti du rang, mais 
un interprète spécialiste à part entière, un "joueur d'orchestre", si 
l'on considère l'orchestre comme, lui-même, un instrument. Le premier 
qui acquit quelque célébrité dans ce domaine fut sans doute Hans von 
Bülow, qui fut nommé directeur du Bayerische Staatsoper de Munich et y 
créa des opéras de Wagner (qui le fera cocu, le salaud !), et fut à la 
fin de sa vie le premier chef de la Philharmonique de Berlin. Mais on 
était déjà presque au XXe siècle.

S'il faut en croire ses Mémoires, Spohr fut le premier à utiliser une 
baguette à Londres en 1820 (et ça, c'était du Spohr !), alors que 
subsistait encore l'ancien système de double direction, un chef assis 
au piano, et un premier violon. "Il est vrai que les auditeurs furent 
d'abord surpris par la nouveauté et qu'on les vit chuchoter ensemble ; 
mais lorsque la musique commença et que l'orchestre exécuta la 
symphonie bien connue avec une puissance et une précision 
inhabituelles, l'approbation générale se manifesta immédiatement à la 
conclusion de la première partie par de longs applaudissements 
soutenus. Le triomphe de la baguette comme donneur de temps fut 
décisif, et on ne vit plus personne assis au piano lors de l'exécution 
des symphonies et des ouvertures." Spohr se vante peut-être un peu, et 
ses affirmations ont été mises en doute par Moscheles, Fétis, et 
quelques autres, certains affirmant que le système de double direction 
piano-violon était encore en usage à Londres en 1832.

Peu importe, après tout. Lorsque les grandes idées sont dans l'air, 
telles des chrysalides, elles éclosent simultanément dans mille 
cervelles et dans mille endroits différents. N'oublions pas que ces 
années 1800-1850 ont vu la création des grands orchestres symphoniques 
et philharmoniques (et rappelons qu'il n'y a pas de différence 
essentielle entre les termes "symphonique" et "philharmonique". Je lis 
========== REMAINDER OF ARTICLE TRUNCATED ==========