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From: Paul & Mick Victor <b.suisseVotreculotte@gmail.com>
Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique
Subject: Des mots, des notes. E. comme Enharmonie
Date: Sat, 07 Oct 2023 11:55:10 +0700
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Bytes: 23343
Lines: 372

"Il faut en tout dialogue et discours qu'on puisse dire à ceux qui s'en 
offensent : de quoi vous plaignez-vous ?" écrivait Pascal (Blaise). Ces 
sages propos justifient les avertissements qui suivent :

- Cette contribution est assez longue. À éviter, donc, si l'on 
n'apprécie que les textes courts.
- Elle comporte certainement quelques fautes d'orthographe, d'accord, 
de conjugaison, de syntaxe. On évitera de les relever, et l'on 
s'efforcera d'intervenir sur le fond plutôt que sur la forme, afin 
d'enrichir le propos par des avis constructifs et des informations 
utiles.
- J'ai cru pertinent d'annoter le texte, certains points méritant 
d'être commentés et approfondis. Ces notes n'apprendront évidemment 
rien à ceux qui maîtrisent le sujet, et leur paraîtront même 
simplistes, mais elles pourront peut-être se révéler utiles pour ceux 
qui l'ignorent.

Ces avertissements énoncés, commençons donc.

[E. comme Enharmonie] :

Maître Effarane prit la parole, et, de sa voix perçante, il dit :
« Ce sont là les enfants de la maîtrise ?
— Ils n'en font pas tous partie, répondit M. Valrügis.
— Combien ?
— Seize.
— Garçons et filles ?
— Oui, dit le curé, garçons et filles, et, comme à cet âge ils ont la 
même voix…
— Erreur, répliqua vivement maître Effarane, et l'oreille d'un 
connaisseur ne s'y tromperait pas. »
Si nous fûmes étonnés de cette réponse ? Précisément, la voix de Betty 
et la mienne avaient un timbre si semblable, qu'on ne pouvait 
distinguer entre elle et moi, lorsque nous parlions ; plus tard, il 
devait en être différemment, car la mue modifie inégalement le timbre 
des adultes des deux sexes.
Dans tous les cas, il n’y avait pas à discuter avec un personnage tel 
que maître Effarane, et chacun se le tint pour dit.
« Faites avancer les enfants de la maîtrise », demanda-t-il en levant 
son bras comme un bâton de chef d'orchestre.
Huit garçons, dont j'étais, huit filles, dont était Betty, vinrent se 
placer sur deux rangs, face à face. Et alors, maître Effarane de nous 
examiner avec plus de soin que nous ne l'avions jamais été du temps 
d'Églisak. Il fallut ouvrir la bouche, tirer la langue, aspirer et 
expirer longuement, lui montrer jusqu'au fond de la gorge les cordes 
vocales qu'il semblait vouloir pincer avec ses doigts. J'ai cru qu'il 
allait nous accorder comme des violons ou des violoncelles. Ma foi, 
nous n'étions rassurés ni les uns ni les autres.
M. le curé, M. Valrügis et sa vieille sœur étaient là, interloqués, 
n'osant prononcer une parole.
« Attention ! cria maître Effarane. La gamme d'ut majeur en solfiant. 
Voici le diapason. »
Le diapason ? Je m'attendais à ce qu'il tirât de sa poche une petite 
pièce à deux branches, semblable à celle du bonhomme Églisak et dont 
les vibrations donnent le La officiel, à Kalfermatt comme ailleurs.
Ce fut bien un autre étonnement.
Maître Effarane venait de baisser la tête, et, de son pouce à demi 
fermé, il se frappa d'un coup sec la base du crâne.
Ô surprise ! sa vertèbre supérieure rendit un son métallique, et ce son 
était précisément le la, avec ces huit cent soixante-dix vibrations 
normales (1).
Maître Effarane avait en lui le diapason naturel. Et alors, nous 
donnant l'ut une tierce mineure au-dessus (2), tandis que son index 
tremblotait au bout de son bras :
« Attention ! répéta-t-il. Une mesure pour rien ! »
Et nous voici, solfiant la gamme d'ut ascendante d'abord, descendante 
ensuite.
« Mauvais…, mauvais…, s'écria maître Effarane, lorsque la dernière note 
se fut éteinte. J'entends seize voix différentes et je devrais n'en 
entendre qu'une. »
Mon avis est qu'il se montrait trop difficile, car nous avions 
l'habitude de chanter ensemble avec grande justesse, ce qui nous avait 
toujours valu force compliments.
Maître Effarane secouait la tête, lançait à droite et à gauche des 
regards de mécontentement. Il me semblait que ses oreilles, douées 
d'une certaine mobilité, se tendaient comme celles des chiens, des 
chats et autres quadrupèdes.
« Reprenons ! s'écria-t-il. L'un après l'autre maintenant. Chacun de 
vous doit avoir une note personnelle, une note physiologique, pour 
ainsi dire, et la seule qu'il devrait jamais donner dans un ensemble. »
Une seule note — physiologique ! Qu'est-ce que ce mot signifiait ? Eh 
bien, j'aurais voulu savoir quelle était la sienne, à cet original, et 
aussi celle de M. le curé, qui en possédait une jolie collection, 
pourtant, et toutes plus fausses les unes que les autres !
On commença, non sans de vives appréhensions — le terrible homme 
n'allait-il pas nous malmener ? — et non sans quelque curiosité de 
savoir quelle était notre note personnelle, celle que nous aurions à 
cultiver dans notre gosier comme une plante dans son pot de fleur.
Ce fut Hoct qui débuta, et, après qu'il eut essayé les diverses notes 
de la gamme, le sol lui fut reconnu physiologique par maître Effarane, 
comme étant sa note la plus juste, la plus vibrante de celles que son 
larynx pouvait émettre.
Après Hoct, ce fut le tour de Farina, qui se vit condamné au la naturel 
à perpétuité.
Puis mes autres camarades suivirent ce minutieux examen, et leur note 
favorite reçut l'estampille officielle de maître Effarane.
Je m'avançai alors.
« Ah ! c'est toi, petit ! » dit l'organiste.
Et me prenant la tête, il la tournait et la retournait à me faire 
craindre qu'il ne finît par la dévisser.
« Voyons ta note », reprit-il.
Je fis la gamme d'ut à ut en montant puis en descendant. Maître 
Effarane ne parut point satisfait. Il m'ordonna de recommencer… Ça 
n'allait pas… Ça n'allait pas. J'étais très mortifié. Moi, l'un des 
meilleurs de la manécanterie, est-ce que je serais dépourvu d'une note 
individuelle ?
« Allons ! s'écria maître Effarane, la gamme chromatique !… Peut-être y 
découvrirai-je ta note. »
Et ma voix, procédant par intervalles de demi-tons, monta l'octave.
« Bien… bien ! fit l'organiste, je tiens ta note, et toi, tiens-la 
pendant toute la mesure !
— Et c'est ? demandai-je un peu tremblant.
— C'est le ré dièze (3). »
Et je filai sur ce ré dièze d'une seule haleine.
M. le curé et M. Valrügis ne dédaignèrent pas de faire un signe de 
satisfaction.
« Au tour des filles ! » commanda maître Effarane.
Et moi je pensai :
« Si Betty pouvait avoir aussi le ré dièze. » Ça ne m'étonnerait pas, 
puisque nos deux voix se marient si bien ! Les fillettes furent 
examinées l'une après l'autre. Celle-ci eut le si naturel celle-là 
le mi naturel. Quand ce fut à Betty Clère de chanter, elle vint se 
placer debout, très intimidée devant maître Effarane.
« Va, petite. »
Et elle alla de sa voix si douce, si agréablement timbrée qu'on eût dit 
un chant de chardonneret. Mais, voilà, ce fut de Betty comme de son ami 
Joseph Müller. Il fallut recourir à la gamme chromatique pour lui 
trouver sa note, et finalement le mi bémol finit par lui être attribué.
Je fus d'abord chagriné, mais en y réfléchissant bien je n'eus qu'à 
m'applaudir. Betty avait le mi bémol et moi le ré dièze. Eh bien, 
est-ce que ce n'est pas identique ?… Et je me mis à battre des mains.
« Qu'est-ce qui te prend, petit ? me demanda l'organiste, qui fronçait 
les sourcils.
— Il me prend beaucoup de joie, monsieur, osai-je répondre, parce que 
Betty et moi nous avons la même note…
— La même ? » s'écria maître Effarane.
Et il se redressa d'un mouvement si allongé que son bras toucha le 
plafond.
« La même note ! reprit-il. Ah ! tu crois qu'un ré dièze et un mi 
bémol c'est la même chose (4), ignare que tu es, oreilles d'âne que tu 
mérites ! Est-ce que c'est votre Églisak qui vous apprenait de telles 
stupidités ? Et vous souffriez cela, curé ?… Et vous aussi, magister… 
Et vous de même, vieille demoiselle ? »
La sœur de M. Valrügis cherchait un encrier pour le lui jeter à la 
tête. Mais il continuait en s'abandonnant à tout l'éclat de sa colère.
« Petit malheureux, tu ne sais donc pas ce que c'est qu'un comma, ce 
huitième de ton (5) qui différencie le ré dièze du mi bémol, le la 
dièze du si bémol, et autres ? Ah ça ! est-ce que personne ici n'est 
capable d'apprécier des huitièmes de ton ? Est-ce qu'il n'y a que des 
tympans parcheminés, durcis, racornis, crevés dans les oreilles de 
Kalfermatt ? (6) »
On n'osait pas bouger. Les vitres des fenêtres grelottaient sous la 
voie aiguë de maître Effarane. J'étais désolé d'avoir provoqué cette 
scène, tout triste qu'entre la voix de Betty et la mienne il y eût 
cette différence, ne fût-elle que d'un huitième de ton. M. le curé me 
faisait de gros yeux, M. Valrügis me lançait des regards...
Mais l'organiste de se calmer soudain, et de dire :
« Attention ! Et chacun à son rang dans la gamme ! »
Nous comprîmes ce que cela signifiait, et chacun alla se placer suivant 
sa note personnelle, Betty à la quatrième place en sa qualité de mi 
bémol, et moi après elle, immédiatement après elle, en qualité de ré 
dièze. Autant dire que nous figurions une flûte de Pan, ou mieux les 
tuyaux d'un orgue avec la seule note que chacun d'eux peut donner.
« La gamme chromatique, s'écria maître Effarane, et juste. Ou sinon !… 
»
On ne se le fit pas dire deux fois. Notre camarade chargé de 
l'ut commença ; cela suivit ; Betty donna son mi bémol puis moi mon ré 
dièze, dont les oreilles de l'organiste, paraît-il, appréciaient la 
différence. Après être monté, on redescendit trois fois de suite.
Maître Effarane parut même assez satisfait.
« Bien, les enfants ! dit-il. J'arriverai à faire de vous un clavier 
vivant ! »
Et, comme M. le curé hochait la tête d'un air peu convaincu :
« Pourquoi pas ? répondit maître Effarane. On a bien fabriqué un piano 
avec des chats, des chats choisis pour le miaulement qu'ils poussaient 
quand on leur pinçait la queue ! » (7) « Un piano de chats, un piano de 
chats ! » répéta-t-il.
Nous nous mîmes à rire, sans trop savoir si maître Effarane parlait ou 
non sérieusement. Mais, plus tard, j'appris qu'il avait dit vrai en 
parlant de ce piano de chats qui miaulaient lorsque leur queue était 
pincée par un mécanisme ! Seigneur Dieu ! Qu'est-ce que les humains 
n'inventeront pas !
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