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From: Paul & Mick Victor <b.suisseVotreculotte@gmail.com>
Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique
Subject: Des mots, des notes. S. comme Sourdingue
Date: Wed, 11 Oct 2023 07:45:41 +0700
Organization: <https://pasdenom.info/news.html>
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X-Newsreader: MesNews/1.08.06.00
Bytes: 4629
Lines: 58

[S. comme Sourdingue] :

À Franz Gerhard Wegeler, Bonn
Vienne, le 29 juin [1801]
 
Mon bon et cher Wegeler, […] tu veux des nouvelles de ma situation, eh 
bien, sache qu’elle n’est pas du tout si mauvaise […]. Mes compositions 
me rapportent beaucoup d’argent et je peux dire que j’ai plus de 
commandes qu’il ne me serait presque possible d’en réaliser. J’ai en 
outre, pour chacune de mes œuvres, six ou sept éditeurs, et plus encore 
si je veux bien m’en convaincre, on ne passe plus d’accords avec moi, 
j’exige et l’on paie, tu vois quelle jolie situation cela me fait ; par 
exemple, si je vois un ami dans la détresse et ma bourse ne souffre que 
je ne l’aide immédiatement, eh bien je n’ai qu’à m’asseoir et en un 
rien de temps, le voilà secouru […]. Seulement, l’envieux démon, ma 
mauvaise santé m’a, semble-t-il, pris en grippe : depuis trois ans, mon 
ouïe n’a cessé de s’affaiblir, et s’est encore trouvée détériorée ici, 
probablement à cause de mon abdomen, qui avant cela, comme tu le sais, 
était déjà en piteux état, tandis que j’ai été pris d’une diarrhée 
incessante, accompagnée d’un état de faiblesse extrême. […] Je dois 
dire que je mène une vie misérable, depuis presque deux ans j’évite 
toutes les relations, parce qu’il ne m’est plus possible de dire aux 
gens que je suis sourd ; si j’exerçais dans quelque autre domaine, cela 
irait encore, mais dans le domaine qui est le mien, cet état est 
effroyable, en outre, mes ennemis, dont le nombre n’est pas des 
moindres, que diraient-ils de cela ? — Pour te donner une idée de cette 
étrange surdité, il me suffit de te dire qu’au théâtre, je me colle 
tout contre l’orchestre pour comprendre le comédien ; je n’entends 
point le chant des notes aiguës des instruments et des voix, lorsque je 
me tiens un peu trop éloigné ; dans la conversation, il est étonnant 
que certains ne l’aient jamais remarqué ; comme j’étais la plupart du 
temps distrait, on me considère comme tel ; il arrive aussi que 
j’entende à peine l’interlocuteur qui parle bas, sinon les notes, mais 
pas les paroles, et pourtant dès lors que quelqu’un crie, cela m’est 
insupportable ; ce qu’il adviendra désormais, seul notre Ciel bien-aimé 
le sait ; Wering dit que je ne pourrai qu’aller mieux, ne fût-ce point 
tout à fait — j’ai déjà souvent maudit le Créateur et mon existence, 
Plutarque m’a poussé à la résignation, je veux, si cela est par 
ailleurs possible, défier mon destin, même s’il y aura dans ma vie des 
moments où je serai la plus malheureuse des créatures de Dieu. Je te 
prie de ne rien dire à personne de mon état, pas même à Lorchen ; ce 
que je te confie doit rester un secret et il me serait agréable que tu 
échanges à ce sujet une lettre avec Wering ; si mon état devait se 
prolonger, je te rendrais visite au printemps prochain afin que tu me 
loues une maison à la campagne dans quelque endroit charmant ; il me 
plaira alors de me faire paysan ; de cette façon, je changerai 
peut-être quelque chose à ma situation, résignation : quel misérable 
pis-aller, le seul pourtant qu’il me reste. —
[…]
Porte-toi bien, bon et fidèle Wegeler, sois assuré de l’amour et de 
l’amitié
de ton Beethoven.

Ludwig van Beethoven : Cahiers de conversation. Cité par Nathalie Kraft : 
Beethoven par lui-même. Buchet-Chastel, 2019.
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Paul & Mick Victor
— Excusez-moi, je crois que vous avez une banane dans l'oreille…
— Que dites-vous ? Parlez plus fort ! J'ai une banane dans l'oreille !