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MELVIL-BLONCOURT (21 février 1850 dans Le XIXe siècle)

Les personnes qui n’ont entendu parler de Melvil-Bloncourt que comme 
député de l’Extrême-Gauche, à l’Assemblée constituante de 1871, condamné 
à mort (par contumace), en tant que l’un des adhérents de la Commune, ne 
peuvent certainement pas avoir de lui une très juste idée. Elles se le 
représentent sans doute sous les traits d’un farouche montagnard, voué 
exclusivement à la politique. Rien n’est moins exact. Melvil, ainsi que 
la plupart des hommes de la génération à laquelle il appartenait, fut un 
républicain très sincère et très ardent, mais c’était surtout et 
foncièrement un homme de lettres. On sait, d’ailleurs, par quelle 
complication funeste, élu déjà représentant de son pays natal, la 
Guadeloupe, et ne le sachant pas encore, il se trouva enfermé dans Paris 
et obligé d’accepter de Cluseret, avec lequel le journalisme l’avait mis 
en rapport, une petite situation dans les bureaux qui lui permît 
provisoirement de subsister. Il toucha, je crois, en trois mois, quatre 
ou cinq cents francs, et c’est pour ce crime sans pareil que ses 
augustes et inflexibles collègues le contraignirent à sortir de France, 
l’envoyèrent réellement à la mort, car ce créole délicat, frileux, 
commençant à s’éloigner de la jeunesse, probablement privé des 
ressources nécessaires, ne put supporter la température glaciale de 
Genève, et tomba frappé sans avoir pu se défendre.
  Mais laissons cette lugubre histoire ; c’est de Melvil jeune encore 
que je veux parler. J’ai dit qu’il aimait les lettres à la passion, et 
ce dut être une de ces grandes douleurs, en mai 1871, que de voir brûler 
cette aimable et riche bibliothèque du Louvre, où nous avions jadis tant 
travaillé ensemble. C’est là que nous nous étions connus, en 1850, et 
qu’un étudiant de mes camarades m’avait présenté à lui. Cette 
bibliothèque, située dans les bâtiments du bord de l’eau, à l’extrême 
limite de la place du Carrousel, avait, si mes souvenirs ne me trompent 
pas, fait partie, avant 1848, du domaine royal. Je crois même me 
rappeler que les volumes (il y en avait, hélas ! soixante ou 
quatre-vingt mille) conservaient, quoique en République, cette 
estampille : Bibliothèque du roi.
Ce qui est resté bien présent à ma mémoire, ce sont les souriantes et 
engageantes figures des bibliothécaires. Il y en avait quatre : M. 
Barbier, le digne fils du savant bibliographe ; M. Aurélien de Courson, 
un érudit de bonne compagnie ; M. Vallery-Radot ; écrivain de talent, 
d’une modestie rare, d’une affabilité parfaite et dont le fils, René 
Vallery, l’auteur populaire du Volontaire d’un an, rappelle les 
charmantes et sérieuses qualités. J’ai gardé pour le dernier M. 
Damas-Hinard, la plus gracieuse physionomie de vieillard qui se puisse 
imaginer. Il avait la politesse exquise, un peu méticuleuse et 
façonnière des hommes d’une certaine bourgeoisie sous l’ancien régime. 
Il devint plus tard secrétaire des commandements de l’impératrice 
Eugénie, et c’était absolument sa vocation que de remplir un semblable 
poste, tout de bonne grâce et de courtoisie. Il s’y trouvait à coup sûr 
moins dépaysé que dans la chaire du Collège de France, où, sous 
Louis-Philippe, on avait essayé de le substituer à Edgar Quinet, ce qui 
avait donné lieu à des vers bouffons, débutant ainsi :

	Damas-Hinard qui n’est
	Qu’un paltoquet
	Et qu’un criquet.

et, chose beaucoup plus grave, à des troubles prolongés dans le quartier 
latin. En toute autre circonstance, la présence de M. Damas-Hinard dans 
la chaire des littératures du Midi n’eût paru aucunement déplacée, car 
il connaissait très bien l’espagnol et on lui doit des traductions très 
estimables de Lope de Vega et de Calderon. Du reste, de cette campagne 
malencontreuse il n’avait gardé nul souvenir amer, et son humeur, 
toujours égale, faisait notre admiration.
On le voit, ces hommes excellents n’appartenaient pas à l’abominable 
race des bibliothécaires arrogants et hargneux qui veillent, comme des 
dogues, sur des livres que d’ailleurs ils ne lisent pas. Ceux-ci, au 
contraire, mettaient le fonds et le tréfonds de la bibliothèque à notre 
disposition, et Dieu sait si nous profitions de l’aubaine ! À notre 
première entrevue, Melvil m’avait fait passer une sorte d’examen sur 
Kant, Fichte, Schelling, Hegel et, satisfait de mes réponses, il s’était 
écrié : « Jeune homme, vous vous êtes nourris de le moelle des lions ! 
Vous êtes digne de lire Barchou de Penhoën ! » J’étais aussi surpris que 
flatté d’avoir tant absorbé de la moelle des lions, et je ne demandais 
qu’à lire Barchou, l’ancien camarade de Balzac et de Dufaure au collège 
de Vendôme, historien lucide et métaphysicien profond, trop oublié 
aujourd’hui.
Je touche ici à l’un des côtés bien particuliers du caractère de 
Melvil-Bloncourt. Il aimait la singularité en tout, et ce goût se 
marquait dans sa très abondante et très variée culture intellectuelle. 
Il abordait de préférence et pratiquait avec délice les auteurs presque 
inconnus, quelque peu hérissés et abstrus à l’occasion. Son grand cheval 
de bataille était le philosophe Hoëné Wronski. Pour lui, cet écrivain 
aux formules barbares était un prophète et un révélateur. Il goûtait 
aussi beaucoup les recherches bizarres de Fabre d’Olivet, l’Homme du 
désir et le Leviathan de Saint-Martin, la fin mystique du XVIIIe siècle 
; la Palingénésie de Ballanche. En fait de romans, il citait volontiers 
ceux d’Hippolyte Bonnellier et de Gustave Drouinpau, le Portefeuille 
vert ou Résignée. Par ces échappées à travers l’étrange, l’obscur ou le 
paradoxal, ce gentil et libre esprit s’affranchissait et nous 
affranchissait des lectures de commande, des plates redites, des 
admirations clichées. Plus d’un autour du savant et confiant rêveur en 
bénéficia, qui ne s’en est point vanté.
Parmi les camarades que Melvil entraînait avec lui dans d’interminables 
promenades à la tour de Croüy, à Aulnay, à Bièvre, à Vélizy, les habiles 
s’entendaient pour le faire causer, ce qui n’était pas bien difficile, 
et, en dirigeant adroitement la conversation, il y avait toujours chance 
de tirer à soi quelque bribe d’une érudition, mêlée sans doute, mais 
vaste. On partait dès l’aurore, quelquefois dans la nuit, comme il 
arriva lors d’une fameuse course à Versailles, accomplie, aller et 
retour, en quelques heures, par Melvil-Bloncourt, Alfred Delvau et Marc 
Trapadoux. Lorsque les temps n’étaient pas trop durs, or : s’arrêtait à 
l’un des modestes bouchons de la route et l’on dissertait à perte de vue 
en humant le piot, car. disait plaisamment notre philosophe : « Je ne 
comprends pas la campagne sans quelques litres. » Que les gens sobres se 
rassurent ! Ces paisibles agapes n’ont jamais dégénéré en orgies. 
Celles-ci n’ont existé que dans le cerveau des bohèmes et dans leurs 
écrits, les festins de Balthazar leur étant interdits par l’anémie 
chronique de leur porte-monnaie. Deux ou trois pauvres diables, dont je 
parlerai plus tard, se sont laissé corrompre et terrasser par l’absinthe 
; mais en général ces causeurs, ces flâneurs, ces rêveurs, étaient d’une 
sobriété remarquable : ils ne se grisaient que de théories et de paroles.
On se tromperait d’ailleurs beaucoup en se figurant qu’ils ne 
travaillaient point. Ils étaient presque tous indignement exploités par 
des éditeurs de quatrième ordre, des libraires marrons ou même des 
directeurs de grands journaux. Grâce à deux hommes de cœur qu’il avait 
rencontrés, Melvil avait pu commencer une fort belle publication et fort 
utile, la France parlementaire. C’était un recueil complet des 
principaux discours prononcés par les orateurs de la Révolution. Une 
préface et des notes devaient accompagner le volume et faciliter les 
recherches du lecteur. Le tome premier, intitulé Mirabeau, parut 
quelques jours seulement avant le 2 Décembre et fut emporté par la 
tourmente. Le deuxième volume, Robespierre, éprouva un sort encore plus 
déplorable. Il était en préparation et déjà fort avancé. Dans une 
perquisition ordonnée aux bureaux de la rue Séguier (laquelle portait 
alors, je crois, un autre nom), les épreuves furent brûlées et les 
clichés détruits, au nom de la propriété.
Le collaborateur de Melvil, dans ce minutieux et considérable travail, 
Eugène Dumez, ne se trouvait point à Paris, et il échappa aux premières 
poursuites. Peu de temps après, dénoncé à Dijon, où il rédigeait le 
Courrier de la Côte d’Or, il dut quitter la France et se réfugier dans 
un des États de l’Amérique du Sud, à la Plata, ce me semble, avec le 
philosophe Amédée Jacques, le courageux directeur de la Liberté de 
penser, une revue à laquelle avaient collaboré Émile Saisset, Jules 
Simon, Émile Deschanel, Ernest Bersot et où débuta M. Ernest Renan. 
Comme Amédée Jacques, Dumez resta en Amérique et y mourut, n’ayant 
jamais voulu accepter ni grâce ni amnistie. C’est à ce brave garçon que 
je dois d’avoir connu les premières joies et les premières contrariétés 
de la lettre moulée. Il publia dans l’été de 1851, au Courrier de la 
Côte-d’Or, un article politique, le Concile des intolérants, où 
j’attaquais la coalition de la rue de Poitiers. Il inséra encore, vers 
novembre de la même année, ma première variété littéraire, un article 
sur Pierre Dupont. J’en avais déjà rédigé une seconde sur les romanciers 
contemporains, lorsque le coup d’État fit disparaître le journal, le 
rédacteur en chef et le débutant variétiste.
L’écroulement ou, plus exactement, la destruction de la France 
parlementaire, mettait Melvil-Bloncourt dans le plus cruel embarras. 
Avec quelques amis, il essaya de fonder une feuille purement littéraire. 
Un modeste festin réunit les futurs collaborateurs dans un petit 
restaurant de la rue Racine, le 6 janvier 1852 (j’ai mes raisons pour 
n’avoir pas oublié cette date) ; après le dîner, on était en train de 
consommer quelques bocks au café Socrate, situé au coin de la rue des 
Grès, aujourd’hui rue Cujas. Tout à coup, le bruit se répand que le café 
est cerné. Le commissaire de police fait invasion dans la salle de 
billard et interroge les consommateurs. « Où demeurez-vous ? » 
demande-t-il au premier qui lui tombe sous la main. Et comme celui-ci 
donnait son adresse rue de la Victoire : « Ah ! vous demeurez rue de la 
Victoire et vous avez dîné rue Racine. Ça n’est pas clair. En prison ! 
en prison ! » Ce commissaire, il faut l’avouer, était un logicien 
médiocre. Melvil et ses amis en furent quittes pour trois ou quatre 
jours assez désagréables, passés à la préfecture de police, et comme ils 
étaient innocents de tout complot, on dut les mettre en liberté.
À cette époque, se place la collaboration au dictionnaire Lachâtre . Je 
ne sais si Melvil y travailla très longtemps. Ce dont je me souviens, 
c’est qu’il assista au banquet, très beau, ma foi ! offert par Lachâtre 
à ses rédacteurs anciens et nouveaux, et où la figure hétéroclite de 
l’abbé Chatel stupéfia les convives, qui le croyaient mort et enterré 
depuis longtemps. Quelqu’un mourait justement cette nuit-là, par cet 
affreux temps de neige et de glace, Gérard de Nerval, pendu au grillage 
d’un serrurier, dans la funèbre rue-escalier de la Vieille-Lanterne, qui 
a disparu lorsqu’on a élevé le théâtre des Nations .
M. Damas-Hinard, qui n’avait cessé de s’intéresser à Melvil, le fit 
entrer, vers 1855 ou 1856, à la Bibliothèque de la rue Richelieu, pour 
prendre part, sous la direction de Jules Taschereau, à la confection du 
Catalogue. À partir de ce moment, sa vie n’appartient plus à la bohème. 
Plus que jamais il se plonge dans des lectures infinies ; puis il se 
marie avec une très aimable créole de la Nouvelle-Orléans, et 
définitivement s’établit. Je ne sais comment il fut ramené à la 
politique, les circonstances nous ayant séparés pendant plusieurs 
années. Lorsque je le rencontrai après 1870, il était fatigué, triste, 
rempli de pressentiments funèbres. Il me dit que son plus grand désir 
était de trouver quelque revue, dans laquelle il pût revenir à la 
philosophie et aux lettres, ses véritables amours. Melvil-Bloncourt 
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