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FERDINAND FOUQUE II (27 juillet 1887)

II L’ÉCRIVAIN

L’absence de détails personnels dans l’œuvre d’un littérateur n’implique 
pas le moins du monde ce que l’on est convenu de désigner sous le nom 
d’impersonnalité. C’est un signe de discrétion, de mesure, de fierté 
quelquefois, mais, à des yeux exercés, cela ne dissimule en aucune façon 
l’individualité de l’écrivain, lorsque celui-ci est quelqu’un 
réellement, lorsqu’il possède une originalité sérieuse et profonde. Si, 
dans les quelques essais qu’il a publiés, Fouque se met en scène le plus 
rarement possible, il ne laisse pas néanmoins que de se révéler à nous 
par des traits d’une énergie singulière et dont la portée me semble 
grande. Le passage le plus caractéristique en ce sens me paraît 
celui-ci, que j’extrais du quatrième chapitre des Danses grecques, 
intitulé le Cordace :

Se concentrer en son âme et y faire resplendir des éclairs ; s’étudier, 
se connaître et ordonner l’économie de sa nature, c’est revêtir le 
caractère auguste de la souveraineté, de la souveraineté vraie, celle 
qui consiste à s’élever au-dessus de soi-même et à imposer son empire à 
sa propre substance. Il a fallu des siècles à l’homme pour affermir cet 
empire singulier. Il a commencé par vivre tout en dehors, et, au lieu 
d’étendre ainsi sa puissance, il n’a fait que la limiter : le monde 
extérieur l’enchaîne ; il n’est libre que dans le monde de la pensée, 
car la pensée est l’être dans toute sa perfection. Ce n’est qu’après 
avoir été travaillé en tous sens que l’esprit humain a formulé le 
connais-toi toi-même.

Il ne serait point. arbitraire de compléter cette déclaration si haute, 
si nette, par quelques lignes empruntées au même chapitre, et qui 
achèvent de donner le ton d’une âme affranchie, douloureusement résolue :

Le plaisir délicat et vraiment libre est celui qui peut être goûté par 
l’honnête homme, la morale en est la vraie mettre, et cette mesure, en 
art, s’appelle le goût. Le goût n’est point réglé par les préjugés du 
monde ; il est au-dessus des vains caprices de la mode. On ne doit pas 
le confondre avec les fantaisies passagères. Il ne naît pas de la fausse 
délicatesse, celle des conventions et des habitudes ; mais de la 
délicatesse vraie, celle des idées et des sentiments. C’est la plus 
douce et la plus belle des vertus, l’humanité qui le fait éclore. Des 
hommes longtemps obscurs, parce que leur mérite est extrême, et qui ont 
appris à aimer, parce qu’ils ont souffert, contribuent à l’affermir. 
Leur opinion est d’abord persécutée ; elle devient ensuite dominante : 
c’est qu’alors un grand changement s’est opéré dans les mœurs.

On aura déjà reconnu l’écrivain de race. Ce qui éclate ici, non moins 
visiblement que le talent, c’est l’absolue indépendance de la pensée et 
la plénitude dans la possession de soi-même, marque incontestable de 
puissance. Ferdinand Fouque a donné des preuves de l’une et de l’autre 
dans deux études qui forment en quelque sorte les deux extrémités 
symétriques de son œuvre, la première, consacrée à un penseur oriental, 
Ram-Mohun-Roy. avec ce sous-titre : de l’Esprit critique et 
philosophique dans l’Inde moderne ; la seconde ayant pour objet le livre 
de du Fouilloux sur la cynégétique, attribué à Charles IX.
Sur cette dernière donnée, toute simple et en apparence assez stérile, 
Fouque a su échafauder une composition dont l’étrangeté a quelque chose 
de saisissant. L’article se divise en parties alternantes, opposées et 
balancées avec un maniement heureux, avec une entente consommée du 
contraste. Nous voyons le roi Charles IX égaré dans une course 
fantastique, au milieu des bois, hanté par des idées lugubres, par des 
obsessions troublantes, qui prennent la forme d’apparitions, de malins 
esprits, de feux-follets. Les divagations du roi, les propos des 
gentilshommes lancés à sa recherche, l’agitation de l’escorte, 
l’enfièvrement universel : tout cela est rendu avec une poétique et 
entraînante vigueur. Soudain, par un coup de baguette, nous sommes 
transportés dans un cabinet d’étude où l’auteur de l’article, assis 
devant son bureau et tenant en mains l’ouvrage de du Fouilloux, se livre 
à des considérations morales fort judicieuses, fort élevées, sur le 
caractère et la destinée de Charles IX. La scène change ainsi plusieurs 
fois, et les modifications de ton sont si habilement observées que le 
lecteur, surpris, captivé, entre dans le jeu et ne sent pas un seul 
instant languir l’intérêt. Cette composition, intitulée la Chasse 
royale, atteste chez Fouque une intensité d’imagination qui ne 
demandait, pour se développer, que des cadres suffisants, et qui aurait 
sans doute fini par les créer.
Il est clair, d’après l’article sur Ram-Mohun-Roy, que, malgré le peu de 
ressources dont il disposait, l’écrivain ne négligeait aucun moyen 
d’information et savait contrôler les renseignements que l’on mettait à 
sa disposition. À cette époque (1858), il fallait une véritable faculté 
d’intuition pour deviner la portée du vaste mouvement intellectuel et 
moral appelé, dans un délai relativement bref, à transformer, à 
renouveler le génie hindou sans lui rien enlever de son élévation ni de 
sa force. C’est à peine si, aujourd’hui, les divers témoignages 
recueillis depuis trente ans à ce sujet, et parmi lesquels il faut 
placer au premier rang celui de M. le marquis de Saint-Yves, nous ont 
convenablement édifiés sur l’importance de l’extrême culture spirituelle 
qui a épuré et rajeuni le sentiment religieux dans l’Inde. L’esprit 
pénétrant et grave de Fouque le rendait parfaitement propre à cette 
œuvre de divination et d’interprétation.
À propos d’un de ces courts essais, je me suis servi du mot puissance. 
Il me le faut employer encore en parlant des Danses grecques. La 
puissance, en effet, ne se mesure pas uniquement, comme on est trop 
porté à le croire, à l’abondance de la production. L’intensité est aussi 
un élément duquel on doit tenir compte. Je n’ai jamais mieux senti qu’en 
relisant, ces jours-ci, les quatre chapitres des Danses grecques combien 
il peut tenir en quelques pages de vues originales et de pensées 
suggestives.
On ne serait point embarrassé d’écrire sur ce travail un commentaire 
plus considérable que le texte, et l’embarras est, au contraire, d’en 
signaler les mérites en se restreignant à ce qui paraît essentiel. Je 
n’insisterai donc ni sur la fermeté magistrale du style, ni sur 
l’étendue de l’érudition, ni sur l’agrément de certains détails destinés 
à tempérer l’impression sévère causée par la noblesse un peu solennelle 
de l’ensemble ; mais il est indispensable de marquer le caractère de 
l’ouvrage et de dégager la pensée qui l’a inspiré.
La Grèce antique a compris la musique et la danse d’une façon très 
particulière. Elle les a traitées comme des arts quasi-sacerdotaux, tout 
au moins comme des éléments de discipline sociale et des instruments de 
haute éducation.
« Lycurgue place les danses parmi ses institutions politiques. Platon 
les examine et les règle dans son livre des Lois. » L’auteur, pour 
atteindre à l’exactitude et demeurer lumineux, a dû adopter la manière 
de voir des anciens et se soumettre au classement en vertu duquel ces 
sortes de divertissements formaient deux familles principales et 
distinctes :
« Les danses qui expriment les mouvements simples et l’ordre admirable 
d’une âme forte et maîtresse d’elle-même au milieu d’une vie de bonheur, 
ce doux songe : elles sont pacifiques et on les comprend toutes sous le 
nom d’Emmélie, c’est-à-dire la grâce en fleurs, l’élégance extrême ; et 
les danses qui expriment l’énergie d’une âme généreuse au milieu des 
combats ou aux prises avec la destinée : elles sont guerrières et on 
leur a donné le nom de Pyrrhique. »
Les deux premiers chapitres ont donc pour objet spécial la Pyrrhique et 
l’Emmélie, le troisième traite des Danses voluptueuses, et dans le 
quatrième, il est parlé du Cordace, danse comique où l’on se proposait 
d’imiter les infirmités humaines et les ridicules extérieurs. L’histoire 
de la danse en Grèce se déroule ainsi en une centaine de pages, et, ce 
qui est beaucoup plus curieux, ce qui était beaucoup plus difficile, 
l’histoire de la morale en Grèce nous apparaît éclaircie, interprétée et 
je dirais volontiers illustrée dans ses rapports avec la perfection plus 
ou moins grande de la danse. Le critique historien ne s’est pas arrêté 
là. Après avoir montré quels liens étroits unissaient alors la danse à 
la morale, il a fait sentir par une vue très large, très haute, et par 
une série d’exemples admirablement choisis, que ce même art a exercé une 
influence décisive sur le développement des branches maîtresses de la 
littérature nationale chez les anciens :

Je me suis borné, écrit-il dans une page finale, qui résume à merveille 
l’ensemble du travail, à ne considérer la danse que comme la poésie du 
mouvement. J’ai mis surtout mon application à l’étudier dans ses 
rapports avec cet art si grand, si beau et si difficile qu’on appelle 
art dramatique, et il a été établi que les danses nobles avaient été 
l’âme de la tragédie, que les danses voluptueuses avaient été l’origine 
de ces pièces familières qui servaient de divertissements aux banquets 
et aux fêtes privées des citoyens, et enfin que les danses ridicules 
avaient été les sources vives de la comédie. On l’a déjà dit, la danse 
est l’art grec tout entier. Elle est l’âme de l’épopée, elle est l’hymne 
même ; le mètre mélodieux n’est que sa mesure. Les attitudes qu’elle 
donne, les groupes qu’elle compose sont le sujet des imitations les plus 
heureuses des peintres et des statuaires. Elle règle les évolutions 
militaires, elle en fait un art, et c’est par cet art prodigieux que la 
civilisation triomphe à Marathon, à Platée et à Salamine. Enfin elle 
pénètre les facultés de l’âme et règle la vie humaine, comme si elle 
était l’image de l’ordre par excellence, de la législation harmonieuse 
du monde.

Pour être éminemment symbolique, cette critique-là n’en est ni moins 
profonde, ni moins instructive. On sait avec quel succès, avec quelle 
autorité ce genre d’interprétation a été appliqué par l’un des premiers 
critiques de ce temps, Émile Montégut, à Dante, à Michel Ange, à 
Shakespeare, à quelques-uns de nos grands monuments du moyen âge. Un 
cycle varié eût aussi sans doute sollicité l’activité de Ferdinand 
Fouque, s’il lui avait été accordé de triompher d’une destinée 
rigoureuse. Les articles sur la Chasse royale et sur Ram-Mohum-Roy, dont 
j’ai donné l’analyse sommaire, et ceux sur la Comédie italienne, sur les 
Danses de l’Opéra que, malheureusement, je n’ai pu retrouver, prouvent 
combien cet esprit, si arrêté et si décidé qu’il fût, était souple, 
avisé, prompt à saisir les occasions propices d’étude et de manifestation.
Il me reste à exprimer le vœu que ces excellents articles ne restent pas 
dispersés, enfouis dans des collections de journaux et de revues, déjà 
difficiles à découvrir et qui finiront par devenir introuvables. Fouque, 
ne fût-il qu’un grécisant (et il est bien autre chose encore), prendrait 
place dans une cohorte d’élite, à côté de Ballanche et non loin de 
Maurice de Guérin : Un éditeur s’honorerait en réunissant dans un volume 
élégant ces fragments de choix, auxquels assurément un public ne ferait 
pas défaut. Le nom de Ferdinand Fouque échapperait ainsi à un oubli 
qu’il ne mérite pas, et notre littérature s’enrichirait d’une œuvre 
forte, substantielle, originale. Je serais heureux si, en réveillant son 
souvenir, j’avais quelque peu contribué à ce résultat.

========== REMAINDER OF ARTICLE TRUNCATED ==========