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FERDINAND FOUQUE (8 juillet 1887)

I - L’HOMME
J’écris ce mot avec un peu d’hésitation. L’homme, je l’ai rencontré 
plusieurs fois. À trois ou quatre reprises, nous avons rompu le pain 
ensemble, nous avons eu l’occasion d’échanger des lettres sans 
importance. En réalité, je ne sais rien de lui, et ceux-là qui en ont su 
ou qui en savent quelque chose doivent se trouver, à l’heure qu’il est, 
singulièrement clairsemés. En quel pays, en quelle année est né 
Ferdinand Fouque ? Quelle fut son éducation ? Comment a-t-il vécu ? À 
quel moment précis a-t-il disparu de ce monde où il tenait si peu de 
place ? Autant de questions auxquelles je ne saurais répondre d’une 
manière satisfaisante.
Français, il l’était à coup sûr, et l’admirable prose de ses écrits, 
suffit à en faire foi. Provençal très probablement, quoique jamais d’une 
façon déterminée il n’ait indiqué le lieu de sa naissance. L’un de ses 
essais sur les danses grecques, dont nous parlerons tout à l’heure, 
contient une allusion à son séjour dans le Midi, exception unique à sa 
prodigieuse discrétion. C’est à propos d’un jeu antique, l’Ascoliasme, 
qui consistait à sauter et à se tenir debout sur des outres frottées 
d’huile : « Je me souviens, écrit-il, d’avoir été témoin de ce jeu dans 
une petite ville, sur le rivage de la Méditerranée. Le spectacle serait 
fort gai. Des vignerons et des mariniers sautaient sur l’outre, 
bondissant, retombant, chancelant, se relevant et s’étendant sur le 
sable fin, uni et doré, après avoir décrit dans l’air les mouvements les 
plus bizarres qu’on puisse imaginer. Ces chutes causaient un plaisir 
extrême, et le vent de mer emportait les rires épanouis. »
Ce nom de Fouque est fréquent à Marseille, à Toulon, et je l’ai même 
retrouvé dans les petites villes du littoral, à La Ciotat, à Cassis. 
L’étymologie serait risquée qui, par à peu près, ramènerait ce nom à une 
origine antique, à ces Phocéens fondateurs des colonies grecques de la 
côte provençale, premiers apôtres dans notre Gaule d’une civilisation 
raffinée. La pensée de cette ascendance ou de cette descendance, comme 
on voudra, hantait très certainement l’esprit de Fouque. Sa main, qu’il 
avait fort belle, qu’il montrait volontiers, était ce que les 
chiromanciens appellent une main grecque, c’est-à-dire ne présentant que 
les trois ou quatre grandes lignes élémentaires profondément creusées. 
Son meilleur ami était un jeune Grec, également très lié avec l’acteur 
Rouvière. Enfin, la Grèce, dans sa période lumineuse comme dans son 
passé presque fantastique, dans ses lois, ses usages et sa langue, lui 
était absolument familière. Elle lui tenait lieu de richesse, de 
distraction, de consolation ; elle lui fournissait aussi son gagne-pain, 
car il ne subsistait, bien misérablement, hélas ! que de quelques 
répétitions de grec données à de futurs licenciés.
Même parmi des camarades que la fortune n’avait pas accoutumé de gâter, 
Fouque paraissait étonnamment pauvre. Son chapeau, son paletot et ses 
souliers formaient un assemblage indescriptible et navrant. Sa chambre, 
où il me reçut une fois, étant malade, brillait par une absence de 
meubles qui surprenait d’abord, et, à la réflexion, serrait le cœur.
Le boulevard Saint-Michel n’existait pas alors (1854-1858), et pour 
accéder, selon la locution consacrée, à la Sorbonne, il fallait, dans le 
haut de la rue de la Harpe, à gauche, prendre une horrible ruelle 
pompeusement appelée rue Neuve Richelieu. À l’un des angles de cette 
rue, s’élevait une très laide maison à six étages, dont le 
rez-de-chaussée était occupé par le successeur de Flicoteaux, le 
restaurateur populaire que Balzac a rendu célèbre en nous montrant parmi 
ses habitués, dans Un grand homme de province à Paris, le journaliste 
Lousteau et le poète Lucien de Rubempré. C’était là, sous les combles de 
cette sombre et haute maison, au fond de corridors tortueux, étroits, 
interminables, que, dans une mansarde digne du logis classique de 
Gilbert ou de Malfilâtre, habitait Ferdinand Fouque, ayant pour tout 
confort et pour toute compagnie, quelques volumes dépareillés de Platon.
Il vivait dans le rêve, ne sentant rien, ne s’apercevant de rien. Son 
imagination s’arrêtait avec une complaisance particulière sur les objets 
de prix, diamants, bijoux, perles fines, et son langage témoignait 
constamment de cette disposition. J’ai souvent pensé que si la pauvreté 
extrême de sa tenue ne lui causait aucun embarras, n’éveillait en lui 
aucune timidité, c’est qu’il ne la voyait pas. Il aurait porté sans 
forfanterie et avec un parfait naturel la cape en dents de scie et les 
bas en spirale de don César de Bazan, et cela, non en Aragon ou en 
Castille, mais en plein Paris du dix-neuvième siècle.
Soit que l’habitude de l’abstinence fût passée chez lui à l’état de 
seconde nature, soit que sa sobriété méridionale le rendit insensible 
aux séductions de la table, il ne profitait point des quelques bonnes 
aubaines, des quelques « balthazars » amicaux auxquels il lui était 
permis de prendre part, pour s’en réjouir à la façon gloutonne d’un 
Panurge ou d’un Sancho-Pança. Je le vois encore à un festin que nous 
avions pu, l’un de mes camarades et moi, offrir dans notre chambrette de 
la rue de la Victoire à nos amis du quartier latin, Marc Trapadoux, 
Melvil-Bloncourt, Gabriel Dantragues, Alfred Delvau ; je vois, dis-je, 
Fouque pâle, tranquille, touchant à peine aux mets, aux boissons, 
s’exprimant avec la gravité douce d’un néo-platonicien quelque peu 
dépaysé. Au dessert, et pendant la soirée, qui se prolongea extrêmement 
tard, chacun récita les compositions que des éditeurs, ennemis de leurs 
propres intérêts, avaient eu l’aveuglement de ne pas accueillir. Quand 
ce fut au tour de Fouque, il entonna d’une voix gutturale (car il 
n’avait pas le joli accent musical de la Provence) une chanson ou plutôt 
une sorte d’ode lugubre sur le spectacle que l’Europe et la France 
offraient pendant les premières années du second empire. C’est l’unique 
fois que je lui aie entendu dire des vers et faire de la politique. Le 
tout, du reste, produisit sur nous peu d’impression.
Ordinairement réservé jusqu’à la méfiance et rendu silencieux par un 
orgueil qui ne pouvait supporter ni une contradiction ni une observation 
(c’et lui-même qui m’en a fait l’aveu), Fouque ne nous communiquait 
aucun de ses travaux en cours d’exécution. Aussi éprouvâmes-nous une 
surprise agréable, du moins je parle pour mon compte, lorsque, de 1856 à 
1858,se succédèrent, dans la Revue française, les études étranges, mais 
fort belles, et, par certains côtés, tout à fait hors ligne, sur le 
Drame satirique, l’Atellane, les Danses grecques, la Gravure sur pierres 
fines, les Camées du cabinet de France, etc. Il y avait là une variété 
de connaissances, une originalité d’appréciation, une sûreté de main, 
une science du style qui furent remarquées de quelques lettrés délicats, 
comme Baudelaire, de quelques jeunes gens ardents et cultivés comme 
Vallès, mais qui, toutefois, ne fixèrent pas l’attention générale au 
degré où certainement elles le méritaient. Il aurait fallu qu’un 
distributeur autorisé de renommée, Sainte-Beuve, par exemple, près de 
qui je n’étais pas encore à cette époque, prit en main ces fragments, 
comme on l’avait fait, en 1840, pour Maurice de Guérin, et en montrât à 
la foule l’inestimable valeur.
Il aurait fallu aussi que Ferdinand Fouque eût l’esprit de ne pas se 
laisser mourir incognito, juste au moment où, avec un peu de patience, 
il allait arriver à la plus légitime notoriété. Ce fut une disparition 
soudaine, absolue, complète. À l’obscurité, Fouque avait ajouté le 
mystère : il en fut la victime ; ce mystère, il l’étendait aussi à son 
âge ; j’estime que vers 1858, il devait avoir une trentaine d’années ; 
les privations l’avaient vieilli et fatigué. Le seul détail que j’aie pu 
recueillir sur les derniers temps de sa vie le représente comme atteint 
d’un véritable illuminisme. Il ne s’occupait plus que de théosophie, de 
théurgie et rêvait des sphères célestes avec autant de placidité qu’il 
avait rêvé des élégances terrestres.
Au moins n’est-il point, ainsi que tant d’autres, mort tout entier. Les 
neuf ou dix essais publiés dans la Revue Française, et auxquels peuvent 
s’ajouter d’autres fragments dont je donnerai l’indication, suffisent 
pour préserver la mémoire de Fouque d’un total oubli et pour justifier 
les louanges que la critique a le devoir et le droit de lui accorder.
Il serait bien intéressant de savoir par qui et comment ce sauvage, ce 
solitaire, ce misanthrope Fouque se trouva mis en rapport avec M. Jean 
Morel, le directeur de la Revue Française. Si des notes ou des lettres 
relatives à cette collaboration venaient à se retrouver dans les papiers 
de M. Morel, mort jeune lui-même, comme quelques-uns des écrivains qu’il 
avait groupés autour de lui, cela formerait une page de ces curieux 
chapitres de nos annales littéraires, — l’histoire de la Revue 
Française, -qui s’écrira un jour ou l’autre .
Jean Morel, que j’ai trop peu connu pour en parler avec détail, assez 
cependant pour lui vouer de la gratitude puisqu’il favorisa l’un de mes 
premiers débuts , était un de ces esprits dégagés et fermes qui 
n’attendent pas qu’un écrivain soit célèbre pour lui tendre la main, et 
qui ne se bornent point à juger sur l’étiquette. Plus d’un nom 
aujourd’hui bien en vue, justement estimé du public, a commencé de se 
produire sur la couverture de la Revue Française. Je me contenterai de 
citer, entre beaucoup d’autres, Auguste Lacaussade et André Lemoyne. Tel 
talent aventureux, Ernest Hello, par exemple, aurait frappé longtemps et 
vainement à bien des portes, si le bienveillant accueil de Jean Morel 
n’avait abrégé ce pénible stage. Ce ne fut peut-être pas sans quelque 
difficulté que le directeur de la Revue apprivoisât Ferdinand Fouque. Ce 
qu’il y a de certain, c’est que ce choix fait honneur à la décision et à 
la finesse de son goût.
La mort prématurée de Fouque, l’absence complète de relations à laquelle 
il s’était condamné ou résigné, la nature un peu abstraite de ses 
travaux empêchèrent ou du moins ajournèrent toute idée de publication 
d’ensemble.
Le désir de réunir ces précieux fragments ne laissa point cependant que 
de se présenter à divers esprits. Vallès m’en parla à plusieurs 
reprises. Le difficile était moins de trouver un éditeur que de se 
procurer les exemplaires des journaux et revues où Fouque avait écrit, 
en dehors de la Revue française, numéros épars du Mousquetaire et d’une 
très éphémère Revue européenne ; qu’il convient de ne pas confondre avec 
celle que dirigea Lacaussade, en 1859. Nous y étions parvenus cependant, 
et le dossier ne présentait plus de lacunes, lorsque les événements de 
1870 emportèrent et balayèrent, dans leur effroyable tempête, nos 
modestes préparatifs de reconstruction littéraire. Vallès se jeta tout 
entier dans la politique, et le dossier, si soigneusement établi, 
disparut dans les flammes qui consumèrent, en 1871, la maisonnette que 
j’occupais à Montretout.
Puisque le hasard de ces souvenirs a placé sous ma plume le nom de 
Fouque, puisqu’il m’a été permis récemment de relire les principales 
compositions de l’écrivain trop oublié, je veux profiter de cette 
occasion, après avoir évoqué une physionomie fugitive, pour entrer dans 
l’intimité d’une œuvre durable et y faire avec moi pénétrer nos lecteurs.

-- 
A.