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ALFRED DELVAU. — GABRIEL DANTRAGUES. — DUCHATELET. — LE PÈRE BOBLEY — 
PRIVAT D’ANGLEMONT. (8 juin 1887)

Les curieux qui seront d’humeur à consulter les Portraits politiques et 
révolutionnaires de M. Cuvillier-Fleury publiés en 1851, y trouveront un 
agréable chapitre intitulé Les deux secrétaires. C’est la réimpression 
d’un article du Journal des Débats consacré à l’examen de deux Histoire 
du gouvernement provisoire écrites, l’une par Elias Regnault, que nous 
avons vu mourir si triste et si tourmenté, l’autre par Alfred Delvau, 
tous les deux secrétaires plus ou moins éphémères de Ledru-Rollin, qui, 
lui-même, n’exerça qu’un pouvoir bien éphémère. Cette particularité 
d’avoir été mentionné et même quelque peu malmené par le Journal des 
Débats donnait à Delvau, parmi ses camarades plus jeunes, une sorte de 
prépondérance.
Il n’en était pas plus heureux d’ailleurs, car son livre s’était très 
peu vendu, et le second volume annoncé ne devait jamais paraître. Ce 
déboire fut pour Delvau la cause d’un profond chagrin, auquel vinrent 
s’ajouter beaucoup d’autres déceptions. Son grand et constant effort 
était de dissimuler le découragement qui l’envahissait, mais il y 
réussissait mal. L’amertume de son langage démentait les forfanteries de 
sa tenue.
On le sentait, selon le mot si expressif de Mlle de Lespinasse, 
douloureux de partout, et l’on ne savait vraiment par quel côté 
l’aborder. Une circonstance singulière permettra d’en juger :
Delvau demeurait chez sa vieille mère, au faubourg Saint-Marcel, rue de 
la Clef. Quoique je le connusse depuis plusieurs années, je n’étais 
jamais allé chez lui. Melvil-Bloncourt m’y conduisit un matin, au mois 
de mai 1854. Nous le trouvâmes dans une modeste petite chambre, en train 
de préparer un Guide populaire des environs de Paris. Sa fenêtre 
s’ouvrait sur une cour où picoraient quelques poules et qui attenait à 
un jardin de riant aspect, tout embaumé alors de lilas en fleurs : tout 
cela très propret, très recueilli et, dans l’absolu silence d’alentour, 
offrant le charme pénétrant d’un réduit champêtre. L’accueil fut 
cordial, et Delvau me fit présent d’une brochure intitulée Au bord de la 
Bièvre, qu’il venait de publier. J’étais alors très facile à 
l’enthousiasme, et cette bonne grâce d’un ancien, ordinairement 
quinteux, me causa tant de ravissement que je ne pus me tenir de le lui 
manifester. Voici les premières lignes du billet que je lui écrivis :
« Cher Monsieur,
« Je suis heureux d’avoir vu votre charmante retraite avant d’avoir lu 
votre livre. Je l’ai mieux-compris, mieux goûté.
« C’est une œuvre de grande bonne foi et véritablement humaine. Telle 
est ma première et vive impression. Je vous remercie donc avec 
cordialité d’abord de l’avoir faite, ensuite de me l’avoir donnée. »
Qui le croirait ? Cet esprit de travers prit fort mal la chose et se 
fâcha tout rouge. Il se plaignit à Melvil de ma familiarité, de ce que 
j’avais violé son domicile, etc., que sais-je ? Je me tins pour averti 
et ne revis plus ce maussade compagnon.
Peu d’années après, Delvau m’envoya, pour en rendre compte à l’Opinion 
nationale, un de ses livres, avec un billet fort aimable, et comme je 
tardai huit jours à en parler, il m’adressa une lettre d’injures, ce qui 
naturellement me confirma dans mon mutisme. L’homme en lui était tel, et 
tel il demeura jusqu’à la fin. Sa sensibilité contrariée ou refoulée 
s’était tournée en fiel. Son orgueil aussi souffrait d’un manque complet 
d’instruction première, et je ne puis me défendre de hausser les épaules 
quand je vois que, depuis sa mort, on a essayé de lui faire une 
réputation de savant. Quelqu’un, qui le connaissait bien l’a défini un « 
Murger raté », mais Murger ne fut jamais méchant et Delvau l’était devenu.
L’humeur de son fidèle compagnon, Gabriel Dantragues, s’était également 
altérée sous le coup de mauvaises chances constantes plus sérieuses que 
des déboires d’amour-propre. On racontait que, dans sa jeunesse, il 
avait été très riche et très beau. La fortune s’en était allée dans des 
entreprises littéraires ou dramatiques ; la maladie avait tordu le corps 
et ne permettait le mouvement qu’à l’aide d’une canne. Le visage pâle, 
les lèvres pincées, les traits profondément amaigris conservaient 
quelque chose de la distinction native. Plus courageux que résigné, 
Dantragues travaillait pendant le jour dans une compagnie d’assurances, 
et il passait une partie de ses soirées à composer des romans ou des 
pièces de théâtre.
Il a publié chez Michel Lévy, sous ce titre : les Tuiles d’or, un volume 
de nouvelles dont quelques-unes ne sont assurément pas à dédaigner. 
Auteur d’une parade jouée avec succès aux Funambules, il aimait à en 
parler et à rappeler ce souvenir, qu’un jour le mime principal, Pierrot 
ou Arlequin, ayant fait défaut, il l’avait au pied levé, c’est le cas de 
le dire, remplacé sans que personne dans la salle s’en aperçût.
Il y a eu, dans cette petite société qui s’assemblait au café Lucot, des 
destinées bien différentes. Les uns, comme Baudelaire, sont arrivés à la 
célébrité, ou, comme Delvau, à la notoriété ; d’autres ont glissé aux 
bas-fonds les plus obscurs, aux extrêmes oubliettes. Parmi ces naufragés 
de la vie, ceux qui les ont connus n’oublieront jamais deux types 
extraordinaires, deux inséparables, Duchatelet et Bobley.
Duchatelet avait été quelqu’un. Il avait collaboré au Globe, au 
Constitutionnel lorsque ce dernier était libéral. Un jour, la passion de 
l’absinthe l’avait saisi, et la dégringolade s’en était suivie. M. Havin 
recueillit Duchatelet au Siècle, probablement sur la recommandation de 
Privat d’Anglemont, et lui confia les notices d’archéologie parisienne 
dont il se tira fort bien. Dans ce qu’on pourrait appeler ses moments de 
trêve, il faisait preuve d’une instruction très solide, très étendue. En 
un langage toujours correct, souvent élégant, il ferraillait pendant des 
soirées entières contre Bobley.
Quel était l’âge de celui-ci ? Je ne l’ai jamais su au juste, mais il 
avait l’air très vieux, des cheveux blancs, et nous l’appelions 
invariablement le père Bobley. Il se livrait spécialement à la 
numismatique, et, comme il disait, non sans pompe, à la sphragistique ou 
sigillographie (science des cachets ou des sceaux), et encore s’y 
était-il réservé une variété bizarre : l’étude des monnaies repêchées 
dans la Seine-Il fallait l’entendre disserter sur ce sujet, sans se 
lasser jamais, avec un aplomb imperturbable. J’avais perdu de vue depuis 
longtemps ces singuliers personnages, lorsque j’appris la mort de 
Duchatelet. Sa minuscule signature avait peu à peu disparu du Siècle, et 
il faisait plus que jamais des stations prolongées chez Trousseville, le 
trop célèbre liquoriste dont la boutique était située rue Saint-Jacques, 
en face de la rue des Mathurins . On m’a dit que, par un soir de neige, 
il s’y attarda, et, saisi de froid en sortant, fut emporté par 
l’apoplexie. J’ignore ce que devint Bobley, auquel je ne connaissais 
aucune ressource. Peut-être dut-il à la protection de M. de Longpérier, 
que Privat lui avait fait connaître, d’être admis dans quelque 
établissement secourable.
« Je vais chez Longpérier » ou « Je vais chez Barba », tel était le 
refrain habituel de Privat d’Anglemont, quand on le rencontrait dans les 
rues de Paris, où il flânait avec délices. La légende s’est emparée de 
Privat si amplement, elle s’est accordé à son égard un tel luxe de 
détails, tant de fioritures et de broderies, qu’il est bien difficile et 
qu’il serait oiseux de démêler le faux d’avec le vrai.
Parmi les excentriques qu’il fréquentait et qui étaient plus nombreux ou 
plus réellement originaux que ceux d’à présent, la figure de Privat ne 
se détachait pas avec le relief qu’on est maintenant tenté de lui 
attribuer. Ce qui était particulièrement de nature à exciter 
l’attention, c’étaient les révolutions de sa toilette. Lorsqu’un article 
de journal ou un envoi des colonies lui procurait quelque argent, il 
achetait les plus beaux habits, les plus fines bottes du monde, un 
chapeau magnifique et surtout des gants d’un chic irréprochable. Par 
exemple, il n’y avait pas de rechange, et tous ses vêtements, 
constamment portés, ne tardaient pas à se fatiguer d’abord, à devenir 
ternes, puis râpés, puis sordides ; mais Privat n’en continuait pas 
moins de circuler avec la même aisance, aussi fièrement qu’au premier 
jour, jusqu’à l’heure où, comme le Phénix, il renaissait non pas de ses 
cendres, mais de ses haillons.
Même parmi les gens peu argentés, selon la locution qui courait alors, 
Privat était fameux pour sa continuelle absence d’argent de poche. 
Invariablement, il n’avait rencontré ni Longpérier, qui lui aurait prêté 
quelques louis, ni Barba, qui devait lui faire une avance considérable. 
On savait cela et on s’arrangeait en conséquence. Par exemple, on devait 
se méfier de ses invitations. Il les faisait de la meilleure foi du 
monde, mais il les oubliait et vous laissait aux prises avec les ennuis 
et les désagréments de l’attente.
Tout le monde ne prenait pas bien ce genre de distraction. Un médecin de 
la Guadeloupe, en passage à Paris, et auquel Privat avait joué ce 
mauvais tour, le rencontre quelques jours après, accepte ses excuses 
sans montrer l’ombre de rancune, et l’invite gracieusement, pour le 
lendemain, à dîner au Palais Royal. Rendez-vous pris à six heures, dans 
la galerie d’Orléans. Privat y court, comme le loup chez la cigogne, et, 
rencontrant Melvil, qui justement cherchait frairie, l’emmène avec lui. 
Point de compatriote au rendez-vous. Six heures et demie, sept heures, 
sept heures et demie, huit heures. Ils attendirent ainsi jusqu’à neuf 
heures, éreintés, mourant de faim. Privat se tourne vers Melvil et 
l’interroge sur l’état de ses finances : néant. Fort bien, reprend 
l’autre, allons au Café de Paris. Et comme il le disait il le fit. On 
leur servit un petit souper. Quand on présenta l’addition, Privat donna 
au garçon, comme pourboire, les deux francs qui constituaient tout son 
avoir et annonça majestueusement qu’il viendrait régler la note le 
lendemain. Ce qu’il y a de plus beau, c’est qu’il tint parole. Il avait 
sans doute rencontré Longpérier ce jour-là.
Très connu comme fantaisiste, comme observateur et même comme critique 
d’art, Privat l’est fort peu ou même pas du tout comme poète. Il avait 
pourtant débuté par la poésie, ainsi que le prouve la pièce suivante, 
que je donne à titre de rareté :

	À MADAME DU BARRY
	Vous étiez du bon temps des robes à paniers,
	Des bichons, des manchons, des abbés, des rocailles,
	Des gens spirituels, polis et cancaniers,
	Des filles, des marquis, des soupers, des ripailles.

	Moutons poudrés à blanc, poètes familiers,
	Vieux sèvres et biscuits, charmantes antiquailles,
	Amours dodus, pompons de rubans printaniers,
	Meubles en bois de rose et caprices d’écaillés ;

	Le peuple a tout brisé dans sa juste fureur,
	Vous seule avez pleuré, vous seule avez eu peur,
	Vous seule avez trahi votre fraîche noblesse.

	Les autres souriaient sur les noirs tombereaux,
	Et tués sans colère, ils mouraient sans faiblesse,
	Car vous seule étiez femme en ce temps de héros.

Voilà qui est galamment et noblement tourné. Je sais plus d’un long 
poème qui ne vaut pas ce très beau sonnet.

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========== REMAINDER OF ARTICLE TRUNCATED ==========