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From: Paul & Mick Victor <b.suisseVotreculotte@gmail.com>
Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique
Subject: Re: AUDIO...phile...
Date: Tue, 12 Sep 2023 01:03:46 +0700
Organization: <https://pasdenom.info/news.html>
Message-ID: <udnkq5$juk$1@rasp.pasdenom.info>
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Injection-Date: Mon, 11 Sep 2023 18:03:49 -0000 (UTC)
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Bytes: 8031
Lines: 112

Bebert a utilisé son clavier pour écrire :

> Quel dédain, effectivemnt!
> Il n'y aurait que les musiciens qui auraient le droit d'apprécier la musique? 

Grave question. Le droit, c'est très à la mode, tout le monde 
aujourd'hui a "le droit".

> Ceux qui n'ont pas étudié ou pratiqué sont des sous-hommes?
> Est-ce que cette époque va encore descendre plus bas dans le sectarisme?

Des "sous-hommes", je n'aurais jamais utilisé une telle expression. 
Mais ceux-là, s'ils se contentent seulement de le constater, font 
preuve d'un consternant manque de curiosité intellectuelle, et s'ils 
s'en vantent, ce sont des fats. Internet offre suffisamment de livres, 
de vidéos, de tutoriels, aujourd'hui, pour que tout le monde puisse 
acquérir de bonnes connaissances en musique, en électronique ou en 
cuisine, à condition, bien sûr de le vouloir et d'en faire l'effort. Le 
grand mot est lâché. Lorsqu'on s'intéresse à un art, il est 
indispensable de faire un minimum d'efforts pour en maîtriser les 
bases, pour en connaître l'histoire, l'évolution, au moins quelques 
éléments de technique. Aller voir une exposition de peinture sans rien 
connaître du peintre, de son œuvre, de sa technique, des défis 
esthétiques qu'il a essayé de relever, c'est se condamner à traverser 
la galerie en jetant un coup d'œil distrait à droite, un coup d'œil 
distrait à gauche, à s'arrêter devant cette toile, parce qu'on la 
trouve réussie (pourquoi ?), par contre celle-ci est horrible (pourquoi 
?) Cette interprétation de la symphonie de Brahms est magnifique 
(pourquoi ?), je déteste celle-là (pourquoi ? Qu'a-t-elle de moins que 
l'autre ?) Tout le monde est capable de dire "j'aime bien", "j'adore", 
"je n'aime pas", "je trouve ça sublime", etc. mais reconnaissons que ça 
n'a pas grand intérêt. Ça n'en n'a même strictement aucun, à part de 
savoir que Machin aime bien Brahms et Truc n'aime pas Debussy, ce dont 
tout le monde se fiche éperdument. Ce qui nous intéresserait, ce serait 
que Machin nous dise pourquoi il aime Brahms, et pourquoi Truc n'aime 
pas Debussy. Mais ça, ils ne pourront l'expliquer que s'ils ont un 
minimum de connaissances techniques, et de culture générale, c'est 
indispensable aussi. On pourra reprocher beaucoup de choses aux 
intervenants de la Tribune des Critiques de disques, mais on ne pourra 
pas leur dénier une excellente connaissance de leurs sujets, qu'ils 
prouvent par des argumentations solides, même si, évidemment, elles 
sont parfois contestables, ce qui fait justement leur intérêt.

Je reproduis ici un extrait de l'Antimanuel de philosophie de Michel 
Onfray :

"C'est une erreur d'imaginer possible l'abord d'une œuvre d'art, quelle 
qu'elle soit, les mains dans les poches, en toute innocence, naïvement. 
On ne comprend pas un Chinois qui nous adresse la parole si l'on ne 
maîtrise pas sa langue ou si on n'en possède pas quelques rudiments. Or 
l'art procède à la manière d'un langage avec sa grammaire, sa syntaxe, 
ses conventions, ses styles, ses classiques. Quiconque ignore la langue 
dans laquelle est écrite une œuvre d'art s'interdit pour toujours d'en 
comprendre la signification, donc la portée. En conséquence, tout 
jugement esthétique devient impossible, impensable, si l'on ignore les 
conditions d'existence et d'émergence d'une œuvre d'art."

[…]

"Car l'œuvre d'art est cryptée, toujours. Plus ou moins nettement, plus 
ou moins clairement, mais toujours. On risque de rester longtemps 
devant les fresques des grottes de Lascaux sans les comprendre, parce 
qu'on a perdu le décodeur. On ne sait rien du contexte : qui peignait ? 
que signifient ces troupeaux de petits chevaux ? ce bison qui encorne 
un homme à tête d'oiseau ? à qui ou à quoi destinait-on ces peintures : 
à de jeunes individus initiés dans des cérémonies chamaniques ? 
pourquoi utilisait-on l'ocre rouge ici, en poussière pulvérisée, 
soufflée, projetée, le bâton de charbon noir là, le pinceau de poils 
d'animaux ailleurs ? comment expliquer que des dessins en recouvrent 
d'autres sous les doigts d'autres peintres à plusieurs siècles de 
distance ? est-ce que les hommes à qui l'on doit ces décorations 
étaient considérés comme des artisans, des artistes, des prêtres ?
Comme on ne parvient pas à résoudre la plupart de ces questions, les 
spectateurs ou les critiques se contentent souvent de projeter leurs 
obsessions sur les œuvres examinées. Ne voyant pas ce que les artistes 
veulent signifier, les commentateurs leur prêtent des intentions qu'ils 
n'avaient pas. L'histoire des interprétations de Lascaux laisse indemne 
le sens même de l'oeuvre, vraisemblablement destiné à rester ignoré 
puisque ses conditions de production demeureront inconnues et qu'on ne 
disposera jamais d'une grille de lecture digne de ce nom. La 
méconnaissance du contexte d'une oeuvre contraint à l'ignorance même de 
son sens. Plus on sait sur ses alentours, mieux on comprend son cœur ; 
moins on en sait, plus on se condamne à rester à la périphérie."

Donc, mes gueux, ne vous contentez pas de constater que vous n'avez 
jamais étudié ni pratiqué et de vous demander si, malgré cela, vous 
avez "le droit". Aucun doute, rassurez-vous, vous avez le droit. Mais 
si vous voulez dépasser ce stade, relevez vos manches, mettez les mains 
dans le cambouis, inscrivez-vous à la chorale du coin, c'est un 
excellent moyen d'acquérir une bonne culture musicale, une bonne 
oreille, les bases du déchiffrage. Ne vous contentez pas d'écouter un 
disque une fois, écoutez-le deux fois, trois fois, dix fois, essayez 
d'en mémoriser les thèmes, de les chanter, de les retrouver en 
tâtonnant avec un doigt sur votre clavier Bontempi ; au bout de quinze 
auditions, dirigez-l'œuvre devant la glace, vous verrez que, 
finalement, vous êtes aussi forts qu'Abbado ; documentez-vous sur le 
compositeur, sur l'époque et ses mouvements esthétiques, comparez avec 
d'autres œuvres du même style, établissez des relations avec des 
livres, des romans, des poèmes, des peintures, des films, 
approfondissez, téléchargez la partoche sur le site de l'IMSLP, essayez 
de la suivre, au bout de quatre ou cinq écoutes, on y arrive souvent 
facilement… Apprenez à faire la différence entre un rythme binaire et 
un rythme ternaire, à reconnaître une allemande d'une sicilienne, à 
reconnaître les parties d'une fugue, à identifier un accord majeur et 
un accord mineur, cela ne demande pas des facultés extraordinaires, 
c'est à la portée de n'importe qui, bref, pour conclure avec Onfray : 
"vous découvrirez alors un plaisir ignoré par la plupart, en tout cas 
par ceux qui se contentent, devant une œuvre d'art, de reproduire les 
lieux communs de leur époque, de leurs fréquentations ou de leur 
milieu."
--
Paul & Mick Victor
Épuisé