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From: Paul & Mick Victor <b.suisseVotreculotte@gmail.com>
Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique
Subject: Des mots, des notes. H. comme Harpe
Date: Wed, 27 Sep 2023 03:19:32 +0700
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X-Newsreader: MesNews/1.08.06.00
Bytes: 3900
Lines: 51

[H. comme Harpe] :

"J’étais maintenant un harpiste qui avait derrière lui huit années 
d’expérience professionnelle. C’est pourquoi je décidai qu’il était 
temps d’apprendre à lire la musique et de jouer correctement, mais 
j’étais un peu intimidé pour me mettre en quête d’un professeur.
Comme cela arrive parfois, ce fut le professeur qui vint à moi. Un beau 
matin, un gars me dit combien il avait aimé notre spectacle et combien 
il trouvait « terriblement originale » ma façon de jouer de la harpe. 
Je ne savais pas si c’était une vacherie ou un compliment. Je le 
laissai parler jusqu’à ce qu’il m’apprenne qu’il était harpiste au 
Metropolitan Opera. Je lui demandai s’il pourrait me donner quelques 
leçons. Il me dit qu’il en serait très flatté ; ce serait vingt dollars 
la leçon. Nous prîmes rendez-vous.
Lorsque j’arrivai au studio, le maestro me demanda de lui jouer ce que 
je voulais. Je choisis l’air de « Lucia » ; c’était dans mon répertoire 
ce qui se rapprochait le plus d’un morceau classique. Il me regardait 
de si près que son nez était pratiquement dans les cordes et il 
marmonnait continuellement : « Ah oui ! ah comme ça ! extraordinaire… 
ah oui ! »
Quand j’eus terminé, il agita la main et me dit :
— Continuez à jouer ce qui vous passe par la tête.
— Mais vous ne pensez pas que nous devrions commencer à apprendre à 
lire les notes, lui demandai-je ?
Il secoua la tête, fit des bruits impatients avec sa langue et me dit 
de jouer.
Je jouai. À chaque mesure, je m’arrêtai pour lui parler de la lecture 
des notes.
— Jouez, jouez, continuez à jouer tout simplement.
Puis, il m’arrêta et me posa des questions. Est-ce que je pourrais lui 
faire voir encore une fois comment je faisais ce glissando ? Ce 
trille ? De temps en temps, j’essayai de lui parler de la lecture des 
notes, ou du travail des pédales ou du doigté. Il me clouait à chaque 
fois le bec.
Lorsque l’heure de la leçon fut terminée, j’avais appris au maestro 
toute ma technique minable. Il me prit les vingt dollars et me dit :
— Je ne sais comment vous dire combien je me réjouis à la pensée de 
notre prochaine leçon.
— Il n’y a pas à se réjouir : il n’y aura pas de prochaine leçon !
Ainsi se terminèrent mes études scolaires de harpe.
Depuis cette année-là, il y a bien trente-cinq ans de cela, j’ai eu 
l’occasion de rencontrer beaucoup de grands harpistes, des virtuoses 
comme Salzedo et Grandjany. Ils étaient tous abasourdis de la manière 
dont j’utilisais mon instrument et des sons que je pouvais en tirer. 
J’étais, bien sûr, toujours disposé à leur faire une démonstration, 
mais j’aurais préféré être damné que de payer à nouveau vingt dollars 
pour donner une leçon à un quelconque professeur."

Harpo Marx : Harpo et moi. Freeway Press Inc, 1974.
--
Paul & Mick Victor
Marxiste