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V LES CONTRADICTIONS DE BAUDELAIRE (20 avril 1887)

Il y aurait de l’exagération à considérer le petit bruit qui se fit 
autour de la Fanfarlo  comme une première entrée dans la célébrité. 
Toutefois, Baudelaire n’attendit pas non plus, comme on se le figure à 
tort, jusqu’à la publication des Fleurs du mal pour voir sa réputation 
s’accroître parmi les lettrés. Ce qui attira véritablement l’attention 
sur lui, ce fut l’insertion à la Revue de Paris (celle de Maxime du 
Camp, cette fois) de l’Étude sur Edgar Allan Poe, étude divisée en deux 
articles, que les curieux et les délicats lurent avidement. Elle forme 
aujourd’hui, dans l’édition complète des Œuvres, la préface du tome V, 
où sont réunies les Histoires extraordinaires .
L’écrivain a usé du droit incontestable que nous avons de revenir sur 
notre pensée, d’en modifier l’expression, et il a enlevé de ces pages 
quelques singularités qui avaient fait sourire. Une de ses théories 
favorites, consistant à soutenir que les femmes sont surtout propres à 
la littérature épistolaire, s’était glissée là sournoisement, et il en 
donnait cette preuve bizarre que Georges Sand avait écrit tous ses 
romans sur du papier à lettre. Il a bien fait d’effacer ce passage. Du 
reste, Baudelaire ne répugnait ni à se corriger, ni même, ce qui est 
plus grave, à se contredire.
Il a formulé, non sans amertume, le droit à la contradiction en 
écrivant, à propos du suicide de Gérard de Nerval : « Parmi 
l’énumération nombreuse des droits de l’homme, que la sagesse du 
dix-neuvième siècle recommence si souvent et si complaisamment, deux 
assez importants ont été oubliés, qui sont le droit de se contredire et 
le droit de s’en aller. » Sans doute la contradiction est fort légitime, 
mais à condition qu’on la reconnaîtra franchement et qu’on n’affectera 
pas sur certains points une fixité qui est démentie par les faits.
Les circonstances m’ayant mis à même de rencontrer Baudelaire à deux 
époques de sa vie fort différentes et assez éloignées l’une de l’autre, 
je l’ai souvent trouvé en contradiction avec lui-même, mais n’en 
convenant pas le moins du monde. En voici des simples, choisis parmi 
beaucoup d’autres de mes souvenirs :
Baudelaire jeune n’aimait pas du tout qu’on lui parlât de son voyage 
dans l’Inde. Ce voyage, on le sait aujourd’hui, était une sorte de 
châtiment que le général Aupick, le second mari de Mme Baudelaire, avait 
infligé à son beau-fils, dont il supportait mal les taquineries et les 
révoltes. Pareillement, le jeune homme ne pouvait s’accommoder de la 
raideur du général, et il fait allusion à ce désaccord quand il dit dans 
sa Notice sur Pierre Dupont : « Il est bon que chacun de nous, une fois 
dans sa vie, ait éprouvé la pression d’une odieuse tyrannie. Il apprend 
à la haïr. Combien de natures révoltées ont pris vie auprès d’un cruel 
et ponctuel militaire de l’Empire ! Fécondante discipline, combien nous 
te devons de chants de liberté ! »
Ce voyage, qui pouvait être le prélude d’un exil durable, avait laissé à 
Baudelaire de très-fâcheuses impressions. Comme je l’interrogeais un 
jour à la crémerie de la mère Jolivet, il me répondit textuellement :
— Un me parle toujours de l’Inde, des sensations, des sentiments qu’a 
éveillés chez moi le spectacle de l’Inde et du bénéfice qu’en a dû 
retirer ma poésie. Eh bien ! monsieur (le cérémonieux personnage 
n’aimait pas la camaraderie), je n’ai vu ni la mer, ni l’Inde, ni quoi 
que ce soit : Lorsque mon départ a été décidé, je me suis procuré la 
collection des Œuvres complètes de Balzac, et une fois à bord du navire, 
je me suis hermétiquement enfermé dans ma cabine pour les lire. Nous 
sommes allés à Calcutta et nulle part ailleurs. Là, j’ai loué une petite 
maison ; j’y ai fait transporter mes livres et j’y ai continué ma 
lecture, jusqu’au jour où une lettre de ma mère m’a autorisé à revenir 
en Europe. Voilà, monsieur, exactement à quoi se réduisent mes 
impressions. »
J’avais encore cette conversation très présente à la mémoire, lorsque 
huit ans après, passant la soirée chez Sainte-Beuve avec Baudelaire, je 
fus tout surpris d’entendre celui-ci parler des jungles, des tigres, des 
bananiers, des forêts, des montagnes, et, Dieu me pardonne ! de 
l’Himalaya, avec autant de détails qu’aurait pu le faire Victor 
Jacquemont. Il avait probablement débité quelque autre conte à Théophile 
Gautier, puisque celui-ci nous le représente comme ayant visité 
Madagascar et Ceylan. Pour moi, je ne me prononce pas entre ces versions 
diverses, mais il y en a au moins une qui est fausse.
Voulue ou non (car avec ce diable d’homme, on ne sait jamais sur quoi 
tabler), l’admiration pour Balzac fut une des premières manifestations 
littéraires auxquelles se plut l’auteur de la Fanfarlo quand il s’essaya 
dans la critique. Son Salon de 1846 se termine par cette étrange 
apostrophe : « Les héros de l’Iliade ne vont qu’à votre cheville, ô 
Vautrin, ô Rastignac, ô Birotteau ! — et vous, ô Honoré de Balzac, vous 
le plus héroïque, le plus singulier, le plus romantique et le plus 
poétique parmi tous les personnages que vous avez tirés de votre sein ! 
» Le Salon de 1855 contient aussi sur l’illustre romancier quelques 
lignes très respectueuses et relativement émues. Neuf ans de fidélité 
dans ses goûts, cela est beau chez un esprit si mobile.
Le culte très affiché de Baudelaire pour Gautier et Sainte-Beuve ne date 
assurément pas de sa jeunesse. Il avait vingt-huit ans lorsqu’il 
rencontra pour la première fois celui qu’il devait appeler plus tard, 
dans la dédicace des Fleurs du mal, « le poète impeccable » et « le 
parfait magicien ès lettres françaises ». J’ai eu sous les yeux la 
lettre, datée de 1849, dans laquelle il raconte cette entrevue à un ami, 
et je puis assurer qu’il y parle de Gautier avec un extrême dédain, le 
qualifiant « d’enfileur de perles » et disant qu’il est « aussi 
emphatique et aussi vide que les autres romantiques ».
Quant à Sainte-Beuve ; — que je ne connaissais pas encore et qu’il 
fréquentait déjà, — il m’en a entretenu plus d’une fois dans des termes 
si singuliers qu’il serait difficile de les rapporter, confessant pour 
lui un goût assez vif, mais se le reprochant précisément comme un manque 
de goût, s’en accusant comme d’une faiblesse. « C’est, me disait-il, une 
de ces maladies dont on n’a garde de se vanter et que l’on ne sait pas 
guérir. » Plus tard, vint l’ère des mutuels compliments, des feux 
d’artifice réciproques, des adorations officielles dans lesquelles 
Baudelaire en sens inverse ne conserva pas toujours la mesure. Avec ses 
airs indépendants de chat sauvage, il avait sa diplomatie, soignait ses 
relations et s’entendait à ménager ses patronages. J’en fis une fois 
l’épreuve à mes dépens, d’une manière assez désagréable.
À plusieurs reprises, j’avais eu avec Sainte-Beuve des discussions très 
vives au sujet du comédien Rouvière, que mon maître ne pouvait pas 
souffrir. « Vous êtes le seul à l’admirer, me disait-il, c’est une 
affection de jeunesse et qui passera. Je protestais de mon mieux, 
invoquant Gautier, Champfleury et, en désespoir de cause Baudelaire. 
Celui-ci avait écrit sur Rouvière une Notice très bien faite, finement 
étudiée, subtilement déduite, dans laquelle il mettait en relief les 
mérites de cet acteur, si fréquemment inégal mais parfois si admirable. 
Le hasard voulut que, vers ce temps-là, le poète vint passer une soirée 
rue Montparnasse. Sainte-Beuve l’entreprit tout de suite sur Rouvière, 
exprimant son antipathie pour ce prétendu talent, et s’étonnant que des 
gens d’esprit pussent prendre sa défense. Quelle ne fut pas ma surprise 
d’entendre Baudelaire renier carrément son opinion, sur-le-champ, sans 
transition aucune, avouer son erreur et se moquer de son enthousiasme. 
Sainte-Beuve riait sous cape et triomphait ! J’étais furieux et 
j’exhalai, le lendemain, Ia colère devant quelques personnes, qui ne 
manquèrent pas d’en informer Baudelaire. « Croyez-vous donc, répondit 
tranquillement celui-ci, que j’allais me faire une querelle avec 
Sainte-Beuve pour le plus ou moins de talent d’un cabotin ! »
Le procès en police correctionnelle si maladroitement intenté à l’auteur 
des Fleurs du mal par les austères moralistes du second Empire donna au 
poète un instant de popularité politique, et a créé, en son honneur, une 
légende de libéralisme qui tend à s’imposer définitivement. J’ignore 
qu’elles furent les convictions de Baudelaire dans les dernières années 
de sa vie ; mais je sais fort bien qu’entre 1850 et 1852, il était 
absolument et presque cyniquement aristocrate, partisan déclaré de la 
force, méprisant tout ce qui était appel au sentiment populaire, et ne 
comprenant qu’un état de choses où l’on se désintéresserait des passions 
politiques et des revendications sociales. L’écrivain qui lui était le 
plus odieux, et contre lequel il ne perdait jamais une occasion de 
protester avec une âpreté quasi-haineuse, était Michelet Le billard du 
café Lucot a entendu, à ce sujet, des conversations singulièrement 
orageuses. Sauf Malassis, qui se piquait alors de dandysme, de réaction, 
d’aristocratie, de conservation à outrance, nous étions tous des 
partisans et des admirateurs de Michelet. Cette unanimité n’effrayait ni 
ne déconcertait Baudelaire. Il résistait avec une maligne et dédaigneuse 
ironie à nos violentes objurgations, et sa conclusion était 
invariablement celle-ci : « Vous aurez beau me sermonner et 
m’endoctriner, il y a en moi un sens intime de l’art avec lequel je juge 
ce qu’écrit et ce que dit Michelet (j’ai, pour mon malheur, assisté à 
plusieurs de ses cours), et ce sens artistique se révolte contre les 
flatteries au populaire, les caresses à la passion antireligieuse, les 
ficelles patriotiques, les sentimentalités avec accompagnement de la 
Carmagnole. » Ce que Baudelaire appelle ici son sens intime était à la 
fois un effet de son tempérament et une nécessité de la pose 
aristocratique qu’il avait adoptée.
La démocratie triomphant en littérature avec Michelet le blessait dans 
sa personnalité factice et volontairement exceptionnelle.
À coup sûr, il n’y avait pas une parcelle de démocrate dans le critique 
arrogant et raffiné qui écrivait en 1846 :
« J’entends souvent les gens se plaindre du théâtre moderne ; il manque 
d’originalité, dit-on, parce qu’il n’y a plus de types. Et le 
républicain ! qu’en faites-vous donc ? N’est-ce pas une chose nécessaire 
à toute comédie qui veut être gaie, et n’est-ce pas là un personnage 
passé à l’état de marquis ? »
Il est également permis de penser et de dire que l’auteur de ce célèbre 
Reniement de Saint-Pierre, qui valut de si dures admonestations à la 
Revue de Paris, n’avait guère le droit d’accuser autrui d’impiété. Il 
affectait pourtant à certaines heures une religiosité vague, une 
mysticité qui confinait à la sorcellerie et au magisme. Le Philosophe 
inconnu (Saint-Martin), Swedenborg, Jacob Bœhm tenaient une grande place 
dans ses conversations. À l’égard du culte proprement dit, ce « fils 
d’un prêtre », ainsi qu’il s’appelait lui-même, n’avait aucune 
superstition, ainsi que le prouvent surabondamment les litanies 
dérisoires intitulées Franciscae meae laudes.
On a fait beaucoup de contes sur cette Francisca, pour laquelle 
Baudelaire parait avoir eu un très vif et très durable attachement. Je 
ne me suis trouvé qu’une fois avec elle dans un restaurant du boulevard 
Beaumarchais (elle habitait au Marais). C’était une personne 
admirablement faite, élégamment vêtue et portant la toilette à ravir ; 
nullement négresse, comme on l’a dit et même imprimé, mais un peu jaune 
de teint, légèrement cuivrée ; il n’était pas rare de la rencontrer au 
bras du poète, mais alors un voile très épais cachait son visage aux 
regards.
Je n’ai pas connu Baudelaire dans la période du haschich. Le témoignage 
que je puis lui rendre, c’est que je l’ai vu invariablement sobre, 
jamais surexcité ni troublé. Il touchait rarement à la bière ou aux 
alcools, mais entre ses repas, au grand étonnement des garçons de café, 
il se faisait servir volontiers du vin pur de très bonne qualité, fidèle 
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