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From: MELMOTH <theomonk@free.fr>
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Le 28 avril 1965, Hermann Scherchen écrivait à sa femme Pia Andronescu : 
/Ce soir, j'ai répété MON Art de la Fugue que je porte en moi depuis 36 
années déjà et qui me rend chaque fois plus heureux/. (NB : Scherchen 
répète son orchestration qu'il donnera en première mondiale au /Théâtre 
Apollo/ de Lugano le vendredi 14 mai).

Pour Scherchen, la "quasi" dernière oeuvre inachevée de Bach aura été 
une oeuvre-phare de toute son activité musicale, à un degré tel que, 
après avoir joué les instrumentations de Graeser et Vuataz, il aura 
ressenti le besoin d'écrire la sienne propre et de la donner en concert 
durant les quelques mois qui lui restaient à vivre.

L'/Art de la Fugue/ est certainement le couronnement des oeuvres 
didactiques qui ont jalonné la vie de JSB (/Clavier bien tempéré, 
Offrande Musicale, Variations Goldberg/). Cette oeuvre n'a été écrite 
pour aucun instrument particulier, Bach ne s'étant pas arrêté aux 
timbres musicaux mais s'étant occupé d'explorer toutes les 
posssibilités contrapuntiques d'un thème unique.

L'/Art de la Fugue/ se présente sous la forme d'un court thème de 4 
mesures et témoigne de la science la plus grande, de l'invention la 
plus géniale et de la liberté la plus totale, utilisant tous les 
procédés de l'écriture fuguée. (Selon le musicologue Jacques Chailley, 
elle devait contenir 24 fugues réparties en 6 groupes de 4, ou plutôt 
de deux paires chacun, chaque paire comportant une fugue commencçant 
par les notes /ré-la-fa/ et une fugue à sujet inverse commençant par 
/la-ré-fa/.

L'/Art de la Fugue/ n'ayant été écrit pour aucun instrument, il reste à 
déterminer la part des instrumentateurs de cette partition, qui sont 
légion. Au disque, la première version en date fut celle du quatuor 
Roth. Suivit la gravure berlinoise de Hermann Diener. Quant aus 
recherches de sonorités, nous les trouvons dans les versions des 
organistes : historiquement, les deux premières furent réalisées par 
l'américain Power-Biggs et l'allemand Fritz Heitmann. Ces versions 
trouvèrent leur apogée dans l'interprétation épurée que l'organiste 
aveugle Helmut Walcha réalisa en septembre 1956 sur le magnifique orgue 
Schnitger d'Alkmaar.

La partition ayant été éditée sans instrumentation, le mérite revint à 
Wolfgang Graeser de faire paraître en 1924 l'édition révisée de cette 
oeuvre oubliée, qui allait ainsi marquer le "retour de Bach". La 
partition fut créée à Leipzig par le Kantor Karl Straube, le 27 juin 
1927. 178 ans après sa composition, l'oeuvre recevait sa première 
exécution !

On peut supposer que Scherchen, qui dirigeait à cette époque les 
concerts de l'orchestre Grotrian-Steinweg de Leipzig assista à cette 
audition car, dès le 19/2/1928, il la joua à Winterthur. Tout de suite, 
cette oeuvre occupe une place importante dans ses programmes ; il la  
redonne le 25 mars à Zürich, deux fois en avril à Genève et Lausanne 
avec l'Orchestre de la Suisse Romande, le 24 avril à Franfurt etc.
La presse suisse rendit compte dans les termes suivants du concert de 
Winterthur :

/Le Musikkolegium de Winterthur ne se contenta pas de limiter la 
dernière et imposante oeuvre de Bach, l'Art de la Fugue, à un concert : 
conscient de sa responsabilité, il fit tous les efforts pour assurer 
une réception digne de la grandeur culturelle de Bach. Bien que les 
solistes, l'orchestre municipal et le Kappelmeister Hermann Scherchen 
firent de leur mieux, quelque chose aurait manqué à cette célébration 
de Bach si le désir du public de venir à la rencontre du prophète de 
Bach, W.Graeser, n'avait pas été satisfait. Ainsi, ce dimanche matin 
fut très proche d'une fête religieuse. Seul l'objet de la célébration 
en fit autrement/ [...] /Graeser introduit l'oeuvre : le compositeur 
nous a laissé son testament musical, conscient de se placer totalement 
en dehors de son temps avec une oeuvre qui, par son écriture secrète, 
était pratiquement codée et il fallut tout l'effort des musicologues 
pour la déchiffrer? L'Histoire de l'Art de la Fugue est importante : 
elle part d'improvisations que Bach faisait sur l'orgue à l'occasion de 
visites de ses collègues qui demandaient à l'écouter à l'orgue de la 
Thomaskirche. Il élaborait ensuite ces fantaisies chez lui, à la 
maison. L'oeuvre exécutée n'eut pas de fin. Reste une grande quadruple 
fugue inachevée dont le quatrième thème devait contenir les notes 
correspondant à son nom B-A-C-H. Au lieu de sa fin, le Maître désormais 
aveugle dicta à son beau-fils le choral "Vor deinem Throntret" comme 
final de l'ensemble, ce qui naturellement eut une influence 
insoupçonnée comme le montre l'exécution. [...].

L'orchestration de Graeser fut rapidement trouvée pompeuse, trop 
"romantique" en raison de son côté grandiose et la disposition adoptée 
ne trouva plus l'accord de tous. L'état de la question exigeait donc de 
nouvelles recherches approfondies. C'est alors que le compositeur, 
organiste, maître de choeur, musicologue et ingénieur du son suisse 
Roger Vuataz écrivit sa propre orchestration de l'Art de la Fugue, que 
Scherchen créa lors d'un concert donné en l'Église de Winterthur, le 10 
août 1941. Celle-ci était confiée à trois orchestres à cordes 
regroupant 26 cordes, flûte, hautbois, cor anglais, clavecin et deux 
bassons. C'est cette instrumentation que Scherchen donnera en concert 
et enregistrera au disue pour /Decca/ en 1949 - 78 tours originaux K 
28232/28242, réédités en microsillons LXT 2503/2505. Vuataz écrivit le 
26 octobre 1943, à propos de son orchestration :

/Dans la version que j'ai écrite pour orchestre de chambre, disposé 
comme un orgue à 4 claviers, je n'ai pas voulu oublier - au point de 
vue technique - que l'orchestration de Bach lui-même s'inspire 
directement de la registration de l'orgue et, au point de vue 
spirituel, que le célèbre Cantor a construit sa foi personnelle sur les 
Évangiles. Ceci n'est pas en dehors de la question. Ce fait signifie 
que sa pensée se passe complètement du décor dont on entoure d'habitude 
les manifestations du sentiment religieux et l'on voit à chaque page de 
son oeuvre entier que la vérité et l'austérité de la discipline 
réformée furent le premier article de son credo artistique./
/J'ai donc pris ces pièces de polyphonie incomparable comme des récits 
ou des paraboles évangéliques ; je me suis contenté d'en faire, pour 
ainsi dire, une lecture à haute voix, répartissant les éléments du 
texte entre des voix dialoguantes. Il ne m'était pas possible d'en 
tirer une pièce de théâtre où les acteurs, par le seul fait qu'ils 
auraient été en chair et en os, se seraient permis d'ajouter à l'action 
les gestes complémentaires que leur psychologie individuelle pourrait 
justifier. Tout est donc dépouillé, aride, austère. Mais comme l'être 
humain arrive à dégager les forces vives de l'esprit qui est en lui, 
l'Art de la Fugue, sous cette forme, s'élève au plus pur parvis de 
l'Art musical/.

S'il fallait recenser tous les concerts où Scherchen dirigea cette 
oeuvre, nous aboutirions certainement à un chiffre impressionnant, car 
il a joué l'Art de la Fugue dans tous les pays où il fut invité et 
jusqu'en Palestine et en Amérique du Sud. Les /Dernières Nouvelles 
d'Alsace/ rendirent ainsi compte, le 5 décembre 1934, d'une exécution 
de l'oeuvre par Scherchen à Strasbourg :

«Scherchen a rétabli la véritable interprétation, et dieu sait si elle 
est souvent altérée par l'ignorenca, la nonchalance ou la convention. 
C'est pourquoi Mr. Scherchen a soulevé la force créatrice de cet art, 
où la beauté, l'équilibre, la noblesse se réunissent en une idéale 
conjonction. Hermann Scherchen n'a pas seuleemnt pénétré dans l'Art de 
la Fugue avec un esprit neuf et moderne, il l'a porté vers les régions 
les plus élevées du sentiment et de la Pensée. Sous l'empire de cette 
musique et avec une interprétation aussi empreinte de ferveur et de 
certitude que celle de M. Scherchen, l'Art de la Fugue prit son vrai 
sens. C'est pourquoi nous sommes particulièrement reconnaissants à Mr 
Scherchen de nous avoir rendu le Bach plein de vie et d'éternelle 
jeunesse que nous aimons par-dessus tout !»

Scherchen trouva certainement l'instrumentation de Vuataz peu 
satisfaisante et conforme à sa propre vision de l'oeuvre, qu'il 
orchestra lui-même. Il s'est d'ailleurs longuement exprimé à ce sujet, 
soit dans des textes, soit dans des émissions radiophoniques. Ainsi, le 
lendemain de la création de son orchestration, le samedi  15 mai 1965, 
Scherchen écrivit dans son agenda :

«L'Art de la Fugue : un événement historique dans l'histoire du 
concert» ; et à la suite de l'exécution de Bonn, il avait noté dans son 
cahier que *avec cette oeuvre commence la véritable existence de la 
Musique*.
(Pour Scherchen, Bach n'est d'ailleurs, comme il l'a écrit, qu'/une 
fenêtre ouverte sur Schoenberg/.) D'autre part paraît en 1946 à Zürich 
son livre "vom Wesen der Musik" (De l'Essence de la Musique). L'un des 
trois chapitres est consacré à Bach sous le titre : /Le secret de la 
création artistique/ , et une grande partie de l'analyse musicale 
concerne l'Art de la Fugue. Lors de la répétition parisienne par la 
Télévision française en mars 1966, Scherchen a donné la "clé" de l'Art 
de la Fugue : «Le sens de la fugue, c'est comme si quatre personnes 
discutent de la même chose. La première dit : "ah, la vie est très 
difficile" ; la deuxième dit : "la vie n'est pas si difficile" ; la 
troisième ajoute : "c'est plus que difficile, c'est terrible" ; et la 
quatrième : "alors, que faisons-nous avec la vie ?". Lorsque le 
contrepoint commence, on commence à penser en écoutant ce que dit 
l'autre».

Scherchen avait déjà écrit un texte en préambule au concet donné à 
Zürich le 12 mars 1935 :

«Confronté à l'Art de la Fugue, il faut tout d'abord se poser la 
question suivante : pour l'auditeur d'un concert, quelle importance 
présente une oeuvre qui est considérée par les connaisseurs comme étant 
le sommet de la musique et de la pédagogie de la composition ? 
L'auditeur a l'habitude de considérer comme échelles de valeur les 
émotions suscitées par une oeuvre, le plaisir esthétique procuré par un 
concert. Il a raison, ce sont des réactions propres à lui-même quid 
émontrent l'effet de l'oeuvre et ce n'est qu'une question de degré 
d'évolution de l'auditeur, jusqu'à quel point il reste renfermé dans un 
état d'excitation pur et simple ou bien si, en écoutant une oeuvre, 
vient s'ajouter aussi au plaisir la beauté de sa forme, enrichie du 
plaisir procuré par la connaissance des lois de la composition et des 
éléments musicaux qui sont à sa source.
========== REMAINDER OF ARTICLE TRUNCATED ==========