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From: Paul & Mick Victor <b.suisseVotreculotte@gmail.com>
Newsgroups: fr.rec.arts.musique.classique
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Date: Thu, 28 Sep 2023 17:46:06 +0700
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Lines: 221

[F. comme Flûte] :

Du piano, n’attendez aucune amitié. C’est une auge où chacun peut 
trouver à manger, un puits commun. Je m’en aperçus au collège des 
Jésuites où mes parents m’avaient mis en pension, un jour qu’il me 
fallut jouer un quatre-mains en public avec mon frère ; nos mains se 
heurtèrent si brutalement sur le clavier, que j’eus le sentiment d’une 
bataille. Le morceau fini, je me levai rempli de haine. Cet instrument 
où l’on pouvait se mettre à deux me parut vil.
Je ne me lassais pas de songer au violon que mon père m’avait refusé, 
il y avait si longtemps déjà.
— Le violon, on ne sait pas où ça mène !
Comme mon père disait vrai ! Le violon est vivant, il possède un 
visage, on peut le porter et l’élever dans ses mains. Je peux 
l’enfermer dans une boîte, le cacher où je veux, lui faire dire ce que 
je veux avec mon cœur qui ne saurait autrement s’exprimer. Et s’il 
m’entraîne à son tour, je le suis les yeux fermés jusqu’à ce qu’il 
m’ordonne de m’arrêter.
Pour la deuxième fois, je suppliai mon père de me laisser apprendre le 
violon. La réponse fut longue à venir, mais la déception qu’elle me 
causa tranchante et décisive. Mon père me priait de ne plus penser au 
violon.
— Le violon, ça ne mène à rien !
Je compris avec douleur que le violon m’échapperait toujours. Mon père 
me permettait d’apprendre un autre instrument, pourvu qu’il fût choisi 
parmi ceux de la fanfare. Jusqu’ici je n’avais jamais songé à demander 
mon admission dans cette musique qui rendait la discipline du collège 
plus militaire, et où mon frère aîné tenait une forte partie, celle du 
cornet à pistons auquel étaient dévolus les rôles les plus 
impressionnants. Les cuivres m’effrayaient plutôt, le tambour et la 
grosse caisse m’étaient odieux.
Après réflexion, je demandais à prendre place à côté de mon frère, 
parmi les cuivres ; c’étaient encore ceux-ci qui chantaient le mieux. 
Mais tous les postes étaient occupés, depuis le piston léger jusqu’à 
l’encombrant bombardon. Comme je me montrais blessé dans 
l’amour-propre, qui était ici l’amour de la musique même, le directeur 
me dit qu’il était possible d’ajouter à la fanfare un nouvel 
instrument : une petite flûte. Aussitôt je songeai à ces flûtes en fer 
blanc, si fausses, et qui semblent toujours enrhumées. Si c’était cela, 
j’aimais mieux renoncer tout de suite. Mais lorsque le chef de musique, 
qui exerçait aussi l’emploi de professeur, m’eut fait une description 
élogieuse de la petite flûte, insistant sur ce point qu’elle était en 
bois, et d’un bois spécial, du reste fort cher, avec une clé de métal 
pour chaque trou, je finis par accepter. Mais comme je le priais de me 
laisser choisir, de préférence, la grande flûte, à laquelle il avait eu 
la maladresse de faire allusion, je trouvai ici le même refus que celui 
de mon père devant le violon :
— La petite flûte ou rien !
Lorsqu’on m’apporta la flûte, je fus péniblement surpris de la voir si 
petite. On m’avait trompé. Quelle figure allais-je faire parmi les 
musiciens chargés d’instruments éclatants et lourds, avec cette petite 
flûte humiliante, taillée pour un enfant ? Je songeai pourtant que je 
serais seul à en jouer ; cela donnait à mon rôle un certain prestige. 
Du reste, le directeur me fit remarquer combien ce rôle était enviable, 
puisqu’il consistait à fleurir la fanfare d’une partie composée 
exclusivement de chant. Rare privilège que de chanter toujours quand 
les autres fatiguent leurs poumons aux fonctions modestes de 
l’accompagnement.
Ceci me rendit la joie et quelque fierté déjà. La peine vint ensuite, 
car lorsque je soufflai pour la première fois dans l’embouchure aucun 
son ne sortit. Le professeur porta la flûte à ses lèvres et en tira 
plusieurs notes dont les sons m’enchantèrent. Je lui arrachai 
l’instrument et soufflai à mon tour ; rien ne jaillit du bois creux, 
bien que j’y eusse mis tout mon souffle désespéré.
Je soufflais beaucoup trop fort. On ne souffle pas dans une petite 
flûte très chère comme dans un instrument d’un sou ; il faut y aller 
décidément, mais avec art, souffler, le bout de la langue entre les 
dents.
— Comme si vous crachiez une brindille de paille.
Le professeur cracha, et je remarquai ses grosses lèvres répugnantes. 
Il s’appelait Moulart, un nom qui coupait l’appétit. Lorsqu’il me 
rendit la flûte, celle-ci était tout humide. Moulart transpirait ; on 
voyait la sueur sur son crâne à demi chauve et derrière ses moustaches 
transparentes. Je ne pus m’empêcher de penser à l’archet si propre du 
violon. Avec quel dégoût je remis les lèvres sur l’embouchure ! Après 
une demi-heure d’efforts, j’arrivai pourtant à tirer quelques sons très 
imparfaits de l’instrument, et cette première victoire me fit oublier 
l’horreur d’une salive étrangère.
D’ailleurs, Moulart était très bon. Il souriait toujours, même lorsque 
je lui donnais le plus de mal ; il ne souriait pas pour se moquer, mais 
parce que son visage blanc et tiré avait besoin de sourire. Le sourire 
lui tenait lieu de sang. Après la deuxième leçon, plus fructueuse que 
la précédente, je commençai même à l’aimer. Le professeur Moulart 
n’avait-il pas soufflé toute sa santé dans la fanfare, dans tous les 
instruments, les grands et les petits, qui lui suçaient chaque jour un 
peu de vie ? Il soufflait dix leçons chaque matin, et les jours de 
sortie, lorsque la musique traversait la ville en chantant, le 
directeur ne se contentait pas de battre la mesure ; il portait 
toujours un bugle ou quelque autre instrument avec lui, afin de 
renforcer une partie dont il n’était pas sûr.
J’entendis un jour le préfet qui disait :
— Moulart se tue à la besogne !
Dès lors je le considérai comme un mourant ; le souffle qu’il me 
donnait me parut précieux.
Pourtant, après chaque leçon, je séchais l’embouchure de ma petite 
flûte avec le coin de mon mouchoir.
Je fis quelques progrès et me mis à chérir ma petite flûte. Elle était 
bien à moi, je pouvais la serrer dans mon pupitre avec mes cahiers et 
mes livres. Elle commençait à m’aimer aussi, puisqu’elle répondait à 
mon souffle. Il m’arriva plus d’une fois de négliger mon travail en 
étude pour la contempler ; soutenant du front le couvercle de mon 
pupitre, je la tirais de son étui. Était-elle grande ou petite ? Comme 
mon désir, elle n’avait pas de dimensions. Je caressais avec la peau de 
chamois les clés de nickel qui brillaient sur leurs charnières. Et le 
bois noir brillait aussi franchement que les clés.
L’importance de ma petite flûte grandit à mesure que nous approchions 
de la première répétition en commun. L’un des morceaux que la fanfare 
devait exécuter à la prochaine sortie en ville était un pas redoublé 
spécialement composé pour moi par Moulart et orné d’un solo de petite 
flûte d’une merveilleuse légèreté, mais d’autant plus difficile qu’il 
se faufilait à contretemps dans une partie de piston très compliquée.
La difficulté me donna des forces, dans les doigts plus que dans le 
souffle ; les doigts eussent fait des prodiges si le coup de langue 
s’était montré à la hauteur. Je ne savais pas cracher le souffle comme 
il convenait : l’expulser d’un petit choc vigoureux de la langue par 
l’ouverture des lèvres et le pousser comme une balle minuscule dans le 
tuyau. Mon souffle était trop mouillé, le son partait mal, ratait 
parfois comme un coup de pistolet.
— Trop de vent ! Trop de vent ! » répétait Moulart en voyant mes 
efforts.
Cependant les doigts avançaient, ouvriers plus dociles, oubliant 
parfois tellement le souffle qu’ils étaient chargés de conduire, que 
leur course sautillait sur une musique dont les sons éclataient dans ma 
tête bien mieux que dans l’instrument. Tour à tour ou ensemble, le 
merle, la fauvette, le rossignol ou le loriot passaient dans le ciel 
bleu de ma mémoire.
Lorsque le jour de la répétition générale arriva, j’avais si bien 
travaillé, que le coup de langue avait fini par donner. Mais l’émotion, 
Moulart, pouviez-vous la prévoir ? Éloquent professeur de coup de 
langue, vous ne saviez pas quel coup le cœur peut porter à la musique, 
jusqu’à la tuer sur les lèvres, alors qu’elle gronde à l’intérieur.
Pourtant, cette répétition n’annonça rien que de réconfortant. Ma 
langue fourcha plusieurs fois ; Moulart patienta, puis se fâcha. Son 
affreux mouchoir rouge fit reluire son crâne blanc. Mais à la fin, dans 
le tonnerre des cuivres qui faisait trembler les vitres, ma petite 
flûte poussa son sifflement aérien. Moulart se montra enchanté ; mon 
frère, à qui était dévolu le solo de piston autour duquel le mien 
s’enroulait comme un dessin autour d’une lettrine, m’accorda sa 
confiance, et toute ma fierté passa dans le tuyau étroit de ma petite 
flûte.
Le lendemain, jour de fête, la fanfare se balança dans la ville aux 
applaudissements des drapeaux. Comme mon solo ne se présentait qu’à la 
fin du programme, je pus jouir des fenêtres ouvertes, des visages 
extasiés, des promeneurs qui faisaient la haie et de la troupe de 
gamins cabriolant devant la grosse caisse et les tambours. Je portais 
gravement ma petite flûte comme Moulart son bâton. Lorsque les coups de 
cymbales annoncèrent le dernier morceau, mon cœur soudain bondit et la 
flûte sauta à mes lèvres. Je regardai Moulart qui agitait son bâton en 
mesure. Moulart me regardait aussi. Je perdis confiance sous ce regard 
qui ne m’en accordait pas assez, ma flûte trembla et mon souffle 
s’effraya. Le coup de langue manqua son but.
— Plus fort ! hurlait Moulart.
Ses yeux sortant de l’orbite me frappèrent comme deux billes. À cet 
ordre, mes doigts perdirent à leur tour contenance. Ils battaient à se 
rompre la défaite de mon cœur. Je fermai les yeux et me sentis perdu, 
tellement qu’à la place du solo je ne vis plus qu’un gouffre où je 
coulais vertigineusement. Ma petite flûte elle-même m’échappa tout à 
coup. C’était Moulart qui venait de m’arracher l’instrument ; il 
m’avait glissé son bâton dans la main, et de ses grosses lèvres se 
déroulait maintenant mon solo, dont chaque note me couvrait de 
ridicule.
Ma rentrée au collège fut d’un noyé. Moulart se contenta de plaisanter. 
Trop humilié pour apprécier cette bienveillance héroïque, je préférai 
les remontrances de mon frère ; ma maladresse avait failli compromettre 
son succès. Je ne pus m’empêcher de plaindre ma petite flûte : la 
salive victorieuse de Moulart ne l’avait-elle pas, cette fois, 
déshonorée ? Je fus longtemps à la laver de cet affront.
Heureusement, les vacances de juillet étaient proches. J’oubliai vite 
l’accident de la fanfare pour me jeter dans ce bonheur de liberté qui 
souriait avec les paysages mouvants que le train nous offrait chaque 
trimestre. J’oubliai même ma petite flûte, ou plutôt je la gardai 
religieusement dans son étui, sentant bien de quelle ivresse elle me 
remplirait bientôt dans l’air plus respirable de la maison.
En me dirigeant vers la gare, je portais d’une main ma valise, de 
l’autre ma petite flûte. Je jetai ma valise dans le filet et plaçai ma 
flûte à côté de moi sur la banquette. Le long voyage tourmenta mon 
impatience. Les tableaux de la fenêtre défilaient comme une suite de 
visages de plus en plus connus et qui me reconnaissaient ; jusqu’à ce 
que j’en visse un qui m’était familier. Il précédait le faubourg. 
Celui-ci se montra à son tour comme un vieux domestique qui annonce son 
maître. Je baissai la vitre de la portière et me penchai. Lorsque le 
train ralentit en sifflant, mes regards s’élancèrent sur le quai. Mon 
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